Laurent Gbagbo a récemment désavoué le mode d’accession au pouvoir envisagé par le Conseil National de Transition (CNT). Pour beaucoup, le patron du Front Populaire Ivoirien (FPI) a tué la lutte. Ils voient dans sa position un homme en pleine vengeance quand certains croient qu’il a en réalité sauvé les différents leaders de l’opposition de la violente répression qu’allaient provoquer leurs agissements. Le regard de Patrice Dama.
Laurent Gbagbo, sa position qui fait débat en Côte d’Ivoire
L’ancien Président ivoirien, Laurent Gbagbo, malgré près de 10 années de détention en Côte d’Ivoire puis à La Haye où il était poursuivi par la Cour Pénale Internationale (CPI), est revenu au premier plan de la vie politique ivoirienne. Son interview qu’il a accordée à TV5 Monde a été le premier acte public posé par l’ex-Président depuis sa sortie de prison. Il a affirmé lors de cette interview qu’il était temps de négocier pour la paix en Côte d’Ivoire.
Il a aussi affiché son ferme soutien à l’opposition ivoirienne qui décrie le troisième mandat « anti-constitutionnel » du Président Alassane Ouattara. Outre ses positions fortes, l’ancien Président ivoirien n’est pas allé plus loin. Alors que les conditions s’y prêtaient, avec un regard nouveau de l’opinion internationale sur la situation ivoirienne; opinion cette fois moins favorable au Président Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo ne donne pas le coup de grâce attendu par beaucoup.
En effet, après l’élection présidentielle du 31 octobre, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan du FPI ont lancé, avec d’autres mini-partis politiques, un Conseil National de Transition. Ils attendaient récupérer par cet organe la présidence de la Côte d’Ivoire des mains du Président Ouattara. C’est Henri Konan Bédié qui a été désigné pour diriger la transition politique que devrait mettre en place le CNT. Si l’unanimité s’est vite faite sur la question au sein de l’opposition, Laurent Gbagbo a refusé de valider cette option qui à quelques détails près, ressemble à celle utilisée par Alassane Ouattara pour l’évincer du pouvoir.
Depuis, il n’a cessé de décrier ce qu’il considère aujourd’hui encore comme un coup d’État. Difficile donc pour lui de valider une option pareille en dehors de tout cadre légal. Cette position a immédiatement signé la mort de la CNT qui a perdu toute la vigueur qu’avait donné Laurent Gbagbo aux actions de l’opposition. Tidjane Thiam, l’autre poids lourd de la politique ivoirienne, à travers son porte-parole Dr. Marc-Arthur Gaulithy, a vite fait de se démarquer lui aussi de cette posture illégale. Pour une partie de l’opposition, Laurent Gbagbo a porté un coup fatal au CNT et les commentaires vont bon train à ce propos, y compris dans les rangs des pro-Gbagbo.
Les raisons d’une vengeance de Laurent Gbagbo
Il faut noter que Laurent Gbagbo a effectivement des raisons de vouloir se venger des leaders actuels de l’opposition. Henri Konan Bédié du PDCI RDA est celui qui a prêté main forte à Alassane Ouattara pour le mettre KO. Alors qu’il était au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010 face à l’actuel Président, Henri Konan Bédié avait appelé ses militants à voter Alassane Ouattara. Malgré une décision du Conseil Constituionnel qui donnait l’ancien président réélu, Alassane Ouattara et le patron du PDCI s’étaient mis ensemble au Golf hôtel d’où ils ont activé leurs réseaux diplomatiques pour reprendre la signature de la Côte d’Ivoire à Laurent Gbagbo.
L’option militaire qui s’en est suivie avec la participation de la France avait été appelé de tous leurs vœux par les deux leaders alliés de l’époque. Au transfert de Laurent Gbagbo à la CPI, Henri Konan Bédié faisait le service après vente dans les médias. C’est lui qui expliquait que la place de l’ancien Président ivoirien nouvellement dechu était « en prison » à la Cour Pénale Internationale. Aujourd’hui, Ouattara et Konan Bédié son fortement divisés. L’autre leader politique, Pascal Affi N’Guessan (président du FPI) a lui aussi quelques problèmes avec son ancien mentor.
Il n’avait pas hésité à affirmer, au lendemain de la chute du régime Gbagbo, que le temps de ce dernier était passé et qu’il fallait se concentrer sur l’avenir du parti et celui de la Côte d’Ivoire. Même si Laurent Gbagbo a toujours affirmé qu’il fallait enjamber son corps pour poursuivre la lutte pour le développement de la Côte d’Ivoire ainsi que pour la démocratie dans le pays, ce propos de celui qui a été son Premier ministre a provoqué une grosse division au FPI. Pour les pro-Gbagbo, cette position de leur camarade est impardonnable. Ils lui contestent depuis la tête du parti.
C’est donc contre ces deux personnes que Laurent Gbagbo se serait vengé en dénonçant une posture illégale de la CNT à laquelle participe pourtant son épouse Simone Gbagbo. L’ancienne Première dame de Côte d’Ivoire avait décrété une vacance du pouvoir après l’élection du 31 octobre 2020.
Gbagbo a-t-il sauvé ou tué les leaders de la CNT?
En dénonçant une posture illégale du CNT, Laurent Gbagbo est resté dans le droit chemin. En Côte d’Ivoire, et la constitution le dit, seules des élections démocratiques permettent l’accession au pouvoir. Sur quelle base le CNT dont les leaders ne sont pas le choix du peuple, dirigerait-il le pays ? La justice ivoirienne aurait été dans son droit en arrêtant les opposants.
Déjà condamné à 20 ans de prison en Côte d’Ivoire pour l’affaire du casse de la Banque Centrale des États de l’Afrique de L’Ouest (BCEAO), Laurent Gbagbo augmente ses problèmes en s’associant à cette action. Même si Affi N’Guessan est aux arrêts, l’appel qui s’en est suivi de l’ ancien président ivoirien au Premier ministre de Côte d’Ivoire, M. Hamed Bakayoko, fait présentement son effet.
Comme il le souhaitait, Henri Konan Bédié a rencontré le Président Alassane Ouattara pour l’ouverture de négociations entre l’opposition et le pouvoir. Le blocus mis en place devant les résidences des leaders politiques d’opposition, sont levés; en tout cas pour ce qui concerne Bédié et Affi N’guessan. Une chose non négligeable, les forces en présence ne se valent pas.
Le Président Alassane Ouatara a l’armée régulière avec lui. Les militants appelés à manifester peuvent être victimes de répression si les débordements du type observé à M’Batto se poursuivent. L’ancien président ivoirien a donc peut-être sauvé les opposants qui auraient pu se retrouver en prison si les tensions restaient vives dans le pays.
Les contestations de l’opposition ivoirienne
L’opposition ivoirienne réclamait une révision des listes électorales sur la base des recommandations de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle exige également l’ annulation de l’élection du 31 octobre et un retrait du Président sortant de la course présidentielle puisque la Constitution lui interdit un troisième mandat. Plusieurs candidatures d’opposants avaient aussi été rejetées par le Conseil Constituionnel « aux ordres », selon l’opposition.