En vue d’ un processus électoral crédible et apaisé, la mission internationale d’observation électorale (MIOE) a, dans une déclaration, exhorté les acteurs politiques ivoiriens à l’ouverture d’un dialogue inclusif avant la tenue du scrutin présidentiel du 31 octobre 2020. Ci-dessous l’intégralité de la déclaration.
Processus électoral: EISA et le Centre Carter appellent à l’ouverture d’un dialogue inclusif avant la tenue de l’élection
Ce jour marque le début de la campagne électorale, ouvrant la voie à une étape cruciale du processus électoral avant le scrutin présidentiel du 31 octobre 2020. La Mission internationale d’observation électorale (MIOE) de l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (EISA) et du Centre Carter (le Centre) déplore la perte de vies humaines et condamne les violences qui ont émaillé le processus électoral, notamment au cours du mois d’août 2020. Elle rappelle aux acteurs politiques que l’incitation à la violence est contraire aux instruments internationaux et régionaux qui ont été ratifiés par la Côte d’Ivoire, et notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.
L’EISA et le Centre Carter exhortent les parties prenantes au processus électoral à redoubler d’efforts, en prenant tout le temps nécessaire, pour aborder et résoudre plusieurs questions critiques concernant le processus électoral par le biais d’un dialogue inclusif avant l’élection présidentielle. La mission rappelle que le dialogue reste le seul cadre au travers duquel il apparaît possible de trouver un accord sur une solution mutuellement acceptable permettant d’aller vers une élection inclusive, transparente et apaisée.
L’EISA, conjointement avec le Centre Carter, a déployé depuis le mois d’août 2020 une MIOE de long-terme en Côte d’Ivoire en prévision de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et des élections législatives à venir. La mission est composée d’une équipe cadre de l’EISA et du Centre Carter basée à Abidjan, de 12 observateurs internationaux de long-terme (OLT) déployés en six équipes sur l’ensemble du pays et de 24 observateurs de court-terme (OCT) qui complèteront la MIOE à compter du 25 octobre. L’observation et l’analyse de la MIOE portent non seulement sur la législation nationale mais aussi sur le respect des normes et obligations sous régionales, régionales et internationales auxquelles la République de Côte d’Ivoire a souscrit en matière d’élections démocratiques.
Tout en respectant les principes de neutralité, d’impartialité et de non-ingérence, la MIOE estime opportun d’attirer l’attention des acteurs du processus électoral et de l’opinion publique nationale et internationale sur certaines thématiques et préoccupations relatives aux phases préélectorales, électorale et post-électorale.
L’état de droit constitue la pierre angulaire de toutes les démocraties. Il s’agit également d’une valeur essentielle qui doit être respectée par tous et en particulier pendant toute la durée du processus électoral, de l’adoption du cadre juridique jusqu’à la proclamation des résultats définitifs du scrutin. Ce processus doit être crédible, inclusif et transparent. Toute violation des principes de l’état de droit affaiblit la confiance des citoyens dans l’application effective de leurs droits.
La MIOE est particulièrement attachée au respect des libertés publiques, qui doivent pouvoir s’exercer dans le respect de la loi. L’article 20 de la Constitution ivoirienne garantit la liberté d’association, de réunion et de manifestations pacifiques. Or, depuis le 19 août et jusqu’au 14 octobre, le gouvernement a, par trois arrêtés interministériels, suspendu les marches, les sit-in et autres manifestations sur la voie publique sur toute l’étendue du territoire national. Les arrêtés ont été pris, entre autres, sur la base de la loi régissant l’état d’urgence qui, institué le 23 mars 2020 par décret, n’a pas été renouvelé après le 13 mai 2020. La loi en question dispose, en effet, que les mesures prises en application de la loi cessent d’avoir effet en même temps que prend fin l’état d’urgence.
La MIOE souligne également son attachement au respect des décisions de justice, incluant celles des juridictions internationales et notamment celles de la Cour africaine de droits de l’homme et des peuples (CADHP) de 2020 relatives à la recomposition de l’administration électorale et à la jouissance des droits d’élire et d’être élu. La mission prend acte de l’engagement de l’instrument de retrait de la déclaration par l’État de Côte d’Ivoire qui prendra effet le 30 avril 2021.
Par ailleurs, s’agissant de la décision du Conseil constitutionnel (CC) du 14 septembre, ses effets portant sur l’inclusion ou l’exclusion des candidats sur la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle n’ont fait qu’aggraver le climat de tension autour du processus. De plus, le système de vérification du parrainage citoyen, tel qu’élaboré et mis en œuvre par le CC, n’a pas permis de dissiper et clarifier les raisons et les motivations de l’exclusion de la liste définitive de plusieurs candidats potentiels, se traduisant en un manque de transparence de cette étape cruciale relative à l’éligibilité des candidats.
La MIOE constate par ailleurs que la composition de la Commission électorale indépendante centrale (CEI) et des Commissions électorales locales (CEL) doit davantage être inclusive et équilibrée. Le manque d’entente entre le pouvoir et l’opposition sur les critères de cette recomposition au niveau central mais aussi local restent des points cruciaux de préoccupation pour la MIOE, et cela d’autant plus après les élections des bureaux des 558 CEL présentes sur le territoire ivoirien entamées à partir du 15 septembre 2020.
De plus, la mission relève des difficultés opérationnelles et d’accès à l’information au niveau de la CEI centrale. Si la plupart des équipes d’OLT ont souligné le caractère coopératif de l’administration électorale au niveau décentralisé, la MIOE prend acte des restrictions de collaboration des CEL de la région de San Pedro vis-à-vis de son équipe d’OLT basée dans ladite région. La MIOE rappelle que l’observation de tout processus électoral, pour être crédible, doit pouvoir jouir de la possibilité d’observer toutes les étapes du processus électoral. Ce principe est pleinement conforme aux directives de la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections et du Code de conduite à l’usage des observateurs électoraux internationaux, adoptés au sein des Nations Unies en 2005 et dont EISA et le Centre Carter sont signataires. La mission encourage l’administration électorale à poursuivre et renforcer sa stratégie de communication et d’accès à l’information pour toutes les missions d’observation électorales nationales et internationales.
En ce qui concerne la campagne électorale, l’article 32 du Code électoral dispose que « sont interdites toutes réunions électorales et toute propagande électorale par quelque mode que ce soit, en dehors de la durée réglementaire de la campagne électorale ». Toutefois, la mission a observé plusieurs activités de précampagne électorale pourtant interdites par la loi. Concrètement, il s’agit notamment des investitures des candidats, de visites d’État, et de multiples cérémonies de dons et d’inaugurations d’infrastructures. Assurer l’égalité des chances de tous les candidats à la magistrature suprême reste un principe crucial de tout processus électoral. Pour ce faire, il conviendrait de prévoir dans le cadre juridique un système clair et un champ précis d’interdictions relatives à l’utilisation des biens et des ressources humaines et matérielles de l’État, ainsi qu’un système adéquat de sanctions proportionnées en conformité avec les normes, les obligations et les bonnes pratiques en matière d’élections démocratiques.
La MIOE appelle les candidats, leurs équipes et leurs partisans à mener une campagne transparente, libre de pressions et de fausses informations, tout particulièrement dans les médias et sur les réseaux sociaux. La mission encourage également les médias à couvrir la campagne électorale de manière équilibrée et impartiale et appelle à garantir le respect de leurs libertés fondamentales telles que prévues par la Constitution ivoirienne.
La mission salue l’initiative de la CEI de vouloir publier les résultats provisoires, bureau de vote par bureau de vote sur son site Internet. Cependant, dans un souci de meilleure transparence, cette publication pourrait s’effectuer sans délai et dans un laps de temps apte à permettre aux candidats d’introduire un recours éventuel auprès du CC dans les délais légaux. Cela pourrait se réaliser en permettant à tous de visualiser en ligne la feuille d’enregistrement des résultats, mais aussi l’image de la saisie du procès-verbal tel qu’établi dans le bureau de vote. Enfin, les phases d’acheminement des résultats provisoires, leur transmission, leur compilation et validation, qui permettront la proclamation des résultats provisoires par la CEI, pourraient se faire à tous les niveaux de l’administration électorale en présence des représentants des candidats et des observateurs nationaux et internationaux.