Magistrat actuellement en exil à la suite de différends avec le régime Ouattara, Grah Ange Olivier tente d’éclairer la lanterne de tous sur un sujet qui défraie la chronique depuis l’annonce du chef de l’Etat sortant, Alassane Ouattara, de rempiler pour un troisième mandat. Dans la contribution ci-dessous, le magistrat Grah Ange Olivier explique que la Constitution de novembre 2016 ne fait pas entrer la Côte d’Ivoire dans une nouvelle République, comme veut le faire croire le RHDP (parti au pouvoir). En conséquence, cette constitution ne remet aucun compteur à zéro. Mieux, les deux mandats exercés par le président Ouattara sont bel et bien juridiquement consommés. Il n’a donc pas droit à un quelconque autre mandat. Lisons ensemble.
Le magistrat Grah Ange Olivier: « La Constitution de 2016 n’a pas établi une nouvelle République »
« Combien de fois avons-nous entendu de la part de Monsieur Alassane Ouattara et de ses soutiens, qui le répètent de façon mécanique, que l’adoption de la Constitution de 2016 a fait naître une nouvelle République, la troisième, et que cela avait pour conséquence de rompre avec l’ordonnancement juridique existant pour en instaurer un nouvel ? Force est de constater que la plupart des défenseurs de cette thèse n’ont jamais entendu pousser la réflexion jusqu’à se demander ce qu’était une République, ce qui leur aurait permis de comprendre le caractère aberrant de leurs affirmations. Il convient de définir l’Etat pour comprendre ce qu’est une République.
Un État est un groupement humain, vivant sur territoire délimité par des frontières établies, sur lequel s’exerce à travers des Institutions une autorité, un pouvoir effectif et exclusif qui est le souverain. Selon le détenteur de ce pouvoir exclusif, une distinction va s’opérer entre Monarchie et République. La Monarchie désigne un système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par une seule personne, le plus souvent par un roi héréditaire. La République désigne un mode de gouvernement dans lequel le pouvoir et la souveraineté appartiennent au peuple qui l’exerce directement ou par l’intermédiaire de représentants élus.
Autant il y a plusieurs formes de monarchie sur lesquelles nous n’insisterons pas volontairement eu égard au sujet abordé dans notre contribution, autant il existe plusieurs formes de République qu’on peut classifier selon différents critères. Selon leur système politique ou économique, elle peut être : unitaire (République une et indivisible) ou Fédérale. Un qualificatif peut aussi compléter, mais le plus souvent restreindre, le mot république : République démocratique (Congo), République populaire (Chine), République islamique (Iran), République socialiste (Viêt-Nam), République soviétique (URSS). Suivant le mode de représentation et l’organisation des pouvoirs, on peut aussi distinguer des républiques parlementaires (Italie, Allemagne, France) ou présidentielles (Etats-Unis).
Parler de nouvelle République, revient à dire que la forme de République adoptée par un Etat a évolué. Par exemple, d’unitaire, elle devenue fédérale, ou encore de parlementaire, elle devenue présidentielle ou vice versa. Soutenir que la Constitution de 2000 ou celle de 2016 ont instauré une nouvelle République, c’est affirmé que que la forme de République, c’est à dire de Gouvernement que la Côte d’Ivoire a adopté dans la Constitution de 1960 a changé, ce qui n’est pas vrai. En effet depuis la Constitution de 1960 en passant par celle de 2000 pour en arriver à la Constitution de 2016, l’Etat de Côte d’Ivoire est une République indépendante et souveraine.
L’emblème national est le drapeau tricolore orange, blanc, vert en bandes verticales. L’hymne de la République est l’Abidjanaise. La devise de la République est Union, Discipline, Travail. La langue officielle est le français. La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. Son principe est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. La souveraineté appartient au peuple. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le peuple exerce sa souveraineté par ses représentants et par la voie du référendum. Le Président de la République est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif.
Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il incarne l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des engagements internationaux. Il est élu au suffrage universel direct comme les parlementaires. On retrouve exactement toutes ces dispositions traduisant la forme républicaine choisie par la Côte d’Ivoire dans les trois Constitutions susvisées. Il s’en suit que depuis 1960, la Côte d’Ivoire qui est une République unitaire, présidentielle, sociale avec le même principe de Gouvernement, celui du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple, n’a jamais changé de République.
Il est donc faux de soutenir aussi bien juridiquement que politiquement que la Constitution de 2000 a fait naître la deuxième République et celle de 2016, la troisième. En France la Constitution de 1946 avait instauré un régime parlementaire et celle de 1958 un régime Présidentiel avec le suffrage universel, voilà pourquoi ils ont parlé de quatrième et de cinquième République. La première République qui a connu au moins quatre Constitutions étaient parlementaire. L’adoption de la deuxième, de la troisième et de la quatrième Constitution qui a suivi la première, n’ayant apporté aucune changement important, on a considéré que c’est la première République qui se poursuivait.
On se rend compte que les Républiques naissent de l’évolution réelle de la forme de Gouvernement et non de l’adoption d’une nouvelle Constitution comme c’est le cas dans notre pays. C’est par méconnaissance du véritable critère fondant la division en République de l’histoire des Institutions françaises, que la Côte d’Ivoire en a fait de même rattachant par imitation et de façon arbitraire, la naissance de la nouvelle République à l’adoption d’une nouvelle Constitution. En réalité, elle est toujours à sa première République. Par ailleurs, même si l’on admettait l’idée selon laquelle l’adoption d’une nouvelle Constitution donnait naissance à une nouvelle République, cela n’a aucune conséquence sur la continuité législative.
Le droit de faire adopter des lois qui s’imposent de façon exclusive aux populations étant un attribut de la souveraineté, seul un changement de souveraineté sur un territoire déterminé met fin à l’ordonnancement juridique émanant de la volonté de l’ancien souverain pour faire place à celui du nouveau souverain. Cela n’arrive qu’en cas de naissance d’un nouvel Etat, notamment par décolonisation ou par accession à l’indépendance d’une partie d’un Etat préexistant (ex : Soudan du Sud, Moldavie, Croatie) et non par le changement de la forme de la République. Nous pouvons illustrer ce que nous venons de dire en prenant l’exemple d’une maison. La naissance d’un nouvel Etat correspond à son acquisition par un nouveau propriétaire.
Désormais ce sont les lois du nouveau propriétaire qui vont régir la maison et non celles l’ancien. La naissance d’une nouvelle République correspond non pas à un changement de propriétaire, mais à la volonté de ce dernier de modifier la manière dont il gouverne son bien soit par exemple parce que célibataire il s’est marié. Il n’y a pas de rupture de volonté car les règles émanent de la même personne mais elle a décidé de les modifier adapter aux changements qui sont intervenus dans sa vie. Lorsque sur un territoire déterminé, le souverain change comme en matière de naissance d’un nouvel Etat, il y a une remise en cause de l’ordonnancement juridique antérieur.
Lorsque ce n’est pas le cas comme dans l’hypothèse de la naissance d’une nouvelle République, c’est-à-dire du changement de la forme de gouvernement de l’Etat, il n’y a pas de rupture dans l’ordonnancement juridique, seule est modifiée la manière de gouverner. Pour conclure, nous pouvons donc affirmer sur la base de la définition de la République, que la Côte d’Ivoire n’a pas changé de République depuis 1960. Même si c’était le cas, ça n’aurait pas eu pour conséquence de remettre en cause le passé mais de modifier seulement le présent et le futur. Il en résulte que la règle de la limitation de mandat s’applique sans aucun doute à Alassane Ouattara, dont les deux mandats ne sont pas juridiquement effacés« .