12 août 2019-12 août 2020. Cela fait exactement un an qu’ Arafat DJ a quitté le monde des vivants dans un accident de la circulation. Une année après la disparition soudaine de Houon Ange Didier, la Côte d’Ivoire se souvient de cette icône de la musique ivoirienne. Vincent Toh Bi Irié, le préfet d’Abidjan, rend un émouvant témoignage sur l’ex-patron de la Yorogang.
Le préfet d’Abidjan: « DJ Arafat! Tu es un Chef. Même dans la tombe, tu continues de nous donner du lourd boulot ! »
Vincent Toh Bi Irié n’a pas voulu rester en marge de l’hommage national rendu à Arafat, à l’occasion du premier anniversaire de son décès. Dans une publication sur les réseaux sociaux, le préfet d’Abidjan a livré un témoignage sur le chanteur de couper décaler. Voici la teneur de son message :
DJ ARAFAT : MON TÉMOIGNAGE
12 août 2019. Des services de sécurité m’informent d’un accident grave, comme c’est toujours le cas. Sauf que là, la victime s’appelle DJ Arafat ; elle serait décédée ensuite.
Dans mon travail, tout évènement, quel qu’il soit, fait l’objet de préoccupations sécuritaires et d’une attention particulière. Le décès d’un artiste qui soulève des foules et suscite des passions est évidemment un évènement avec de nombreux risques sécuritaires et de troubles à l’ordre public. Je me rends immédiatement sur les lieux de l’accident, puis dans les environs de la clinique.
Pour l’instant, l’information n’est pas encore répandue. Il y a très peu de jeunes sur les sites.
Au petit matin, les rumeurs du décès sont reprises sur les réseaux sociaux. Nous prenons toutes les mesures de sécurité nécessaires, persuadés que la douleur poussera les fans à des comportements irrationnels. Les forces de sécurité expérimentées et habituées à ce type d’évènements sont vigilantes.
En quelques heures, la foule est compacte sur certains sites. Mais elle est disciplinée, malgré les pleurs. Quelques blessés légers suite à des parades de moto. Des bagarres isolées. Rien de bien grave.
Je connais DJ Arafat comme un artiste ivoirien. Mais je ne connais pas vraiment sa discographie. Le seul morceau que je n’arrive pas à oublier , c’est « Jonathan », qui a égayé mon exil et mes amis non ivoiriens quand je travaillais à l’international. Depuis que je suis rentré au pays, je ne reconnais pas l’artiste : il a un type de musique nouveau, mais surtout des millions de fans. Et ce sont ces millions de fans que je dois gérer dans mes missions de responsable de l’ordre public dans mon département.
Pendant plus de deux semaines, les équipes de sécurité, de secours et de santé s’activent à encadrer les obsèques. Mais je suis loin de m’imaginer que DJ Arafat, même décédé n’a pas fini de surprendre le monde .
Arrivent les derniers jours des obsèques, on me confie la coordination de l’organisation côté administration et sécurité, en appui au comité mis en place par la famille. L’administration ne peut négliger un évènement de type privé, mais dont les conséquences peuvent perturber la vie sociale et le quotidien des autres citoyens. C’est le principe de la sécurité.
Tout le monde est sur le qui-vive ce 31 août 2019. Au Stade FHB, la nuit de l’hommage, tous les services jouent parfaitement leurs rôles. Il ne reste que quelques heures pour l’enterrement. Nous savons que des dizaines de milliers de jeunes sont mobilisés. Une éventuelle bousculade pourrait être mortelle. Nous avons tous en tête la bousculade de 2013 au Plateau, qui a fait 62 morts. Je l’ai dit plus haut, tout évènement attirant du monde nous préoccupe toujours.
À 4 heures du matin, je pars avec une équipe au cimetière. La tombe, qui était en construction quelques jours plus tôt est bien achevée. Le nom et la photo de l’artiste sont gravés dans la pierre tombale. Tout se passe bien. En principe, pas de couacs attendus côté cimetière. Un désordre là n’est pas souhaitable, car ce même jour, d’autres familles enterrent leurs morts dans le même cimetière. Leur recueillement doit être respecté et nous devons y veiller.
Puis je fonce au stade, habillé en civil pour m’assurer que la foule est disciplinée. À l’entrée de la tribune officielle, je vois une jeune fille effondrée, elle est couchée de tout son long sur le sol, elle fait une crise d’hystérie. Je suis saisi d’émotion. Je la prends dans mes bras et je la ramène à l’intérieur du stade. À ce moment, je devine que nous pourrions ne plus contrôler les jeunes, puisque le cercueil est exposé et que tous ceux qui ont douté de cette mort étaient face à la fatale vérité.
Didier Bleou est en pleine animation du public sur le grand podium dressé. Je lui demande de me rejoindre sur une partie du stade. Je lui donne quelques consignes. La sortie du stade est un autre moment où nous devenons nerveux. Il y a déjà eu des dizaines de morts quelques années plus tôt dans ce stade.
Didier Bleou est sceptique. Mais il a l’habitude des foules. Il gère bien l’animation et essaie de discipliner les émotions. Toutes les forces de sécurité organisent le départ des jeunes des tribunes. Dieu merci . Aucun incident.
Je retourne à mon bureau où le Poste de Commandement Fixe que je dirige est sur les dents, alerte maximale. Il ne reste que deux heures pour que la masse humaine se disperse.
Mais de mon bureau au Plateau, j’aperçois des groupes de jeunes qui courent. Ils partent tous au cimetière. Ce scénario n’était pas prévu. Nous donnons l’alerte au cordon de sécurité qui se trouve dans la zone de Williamsville pour une plus grande vigilance . Nous renforçons l’unité de santé montée dans la zone, en cas de débordements.
La grande maîtrise des forces de sécurité permet de gérer le flux humain.
Au PC, nous suivons chaque seconde. 7h15, les cérémonies et l’enterrement sont presque terminés. Quelques minutes plus tard , DJ Arafat est enterré. Il faut maintenant organiser le reflux des dizaines de milliers de jeunes, instant difficile et risqué. Mais le plus dur semble être fait.
À 8h30, je m’enferme dans le bureau pour préparer le projet de rapport à ma hiérarchie. La porte de mon bureau s’ouvre avec grand bruit, mon collaborateur accourt vers moi et me présente une vidéo : la tombe, le cercueil et le corps de DJ Arafat sont en train d’être profanés…
On n’oublie jamais ces missions administratives dans un contexte d’émotion nationale.
C’est pourquoi, à l’approche de la commémoration du premier anniversaire du décès de DJ Arafat, nous nous sommes impliqués pour amener la grand-mère, la mère , les sympathisants et toutes les tendances à harmoniser leurs différentes activités afin d’éviter (encore) des troubles à l’ordre public et des déviations.
Ouais !!! DJ Arafat! Tu es un Chef. Même dans la tombe, tu continues de nous donner du lourd boulot !
Repos éternel, champion !