La question de l’éligibilité ou non de Laurent Gbagbo, ex-président acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), mais condamné par contumace à 20 ans de prison par la justice ivoirienne, cristallise l’actualité socio-politique nationale à moins de 3 mois du scrutin présidentiel d’octobre 2020. Dans la contribution ci-dessous, l’Essayiste Pierre Soumarey revient sur les raisons de l’inéligibilité du fondateur du FPI, avec des arguments fondés sur sa situation juridique actuelle.
Pierre Soumarey à propos du cas Laurent Gbagbo: « Il est inexact et tout à fait inéquitable d’accuser la CEI de partialité »
L’incapacité qui frappe le Président GBAGO est la conséquence de sa condamnation dans l’affaire dite « du braquage ou de la casse de la BCEAO et de plusieurs banques commerciales privées » intervenue le 18 janvier 2018 et confirmée en appel le 29 octobre 2019. C’est la chronique de l’histoire d’une condamnation connue de notoriété publique qui entre dans le champ d’application de l’Article 48 traitant de la qualité d’électeur du Nouveau Code Electoral ( Ord. N° 2020-356 du 8 avril 2020 portant révision du Code électoral. Titre 1, Chap 1, sect 1) qui stipule :
« Ne sont pas électeurs les individus frappés d’incapacité ou d’indignité notamment :
— les individus condamnés pour crime ;
— les individus condamnés à une peine d’emprisonnement
sans sursis pour vol, escroquerie, abus de confiance, détournement de deniers publics, faux et usage de faux, corruption et trafic
d’influence, attentats aux mœurs ;
— les faillis non réhabilités ;
— les individus en état de contumace ;
— les interdits ;
— les individus auxquels les tribunaux ont interdit le droit de
vote et, plus généralement, ceux pour lesquels les lois ont édicté cette interdiction.
Il est remarquable que cette condamnation étant définitive, elle acquiert force exécutoire, tant vis-à-vis de l’administration de la justice qui doit la transcrire sur le Casier Judiciaire de l’intéressé, que de toutes les autorités administratives et juridictionnelles chargées de son application pour l’exercice de ses droits civils et civiques conformément aux dispositifs de la Décision de condamnation qui le frappe. Nous ne retiendrons ici que la condamnation définitive à une peine d’emprisonnement sans sursis et l’état de contumace.
Nous écarterons tout ce qui est relatif aux motivations, formes et à la procédure de ce procès. Notre intention est d’étudier les effets d’une condamnation devenue définitive et de la contumace envisagés sous le rapport de la capacité du contumax. A cet égard, les interprétations des textes (Code d’instruction et code pénal), de la doctrine et de la jurisprudence peuvent être variables et parfois ne pas être totalement satisfaisants. Il s’agit pour nous d’identifier les principales dispositions relatives à la déchéance et la perte de droits, à l’annulation de la condamnation, quand le contumax se présente, et leurs conséquences sur l’appréciation qu’on doit en faire pour l’exécution de cette Décision. Le contumax est-il, faute de se présenter à son jugement, condamné purement et simplement, tout comme s’il avait été présent à son procès ? Ou peut-il se représenter à tout moment pour purger l’accusation pour laquelle il a été condamné en son absence ? Dans ce cas, précis si son innocence est établie, la condamnation est levée, mais avant cette éventualité la condamnation survit à la preuve de l’innocence, et l’autorité administrative, en l’occurrence n’a pas à se faire l’interprète de la Loi. D’une part, la peine est formellement et expressément écrite dans la Loi, comme étant une condition entrainant la déchéance de la qualité d’électeur, d’autre part, « Le jugement, tant qu’il subsiste, ne vaut que pour être exécuté en figure ».
Or, l’article 25 du Code pénal prévoit qu’une condamnation par contumace ne peut devenir définitive. Il dispose à cet effet qu’« est définitive toute condamnation résultant d’une décision autre que par contumace qui n’est ou n’est plus susceptible de la part du Ministère public ou du condamné d’une voie de recours ordinaire ou extraordinaire ». Cependant, il est remarquable que le Code Électoral non seulement ne fait pas cette distinction, mais inclus très précisément dans ses dispositions relatives à la qualité d’électeur, l’incapacité de l’obtenir ou de s’en prévaloir, découlant de ‘l’état de contumace ». Dès lors, la question de savoir quel est le caractère de la condamnation ne se pose plus.
Dans tous les cas, la peine même du délit est prononcée comme si la sentence avait été rendue contradictoirement, même si dans le même temps, l’on s’ingénie à déterminer un mode d’exécution différent pour chaque catégorie de condamnation, d’une manière générale. Au cas particulier qui nous occupe, cette sentence produit en l’état de son existence, des effets analogues à ceux d’un condamné définitif au regard du Code Électoral, les deux catégories entrant dans le même champ d’application, de manière distincte et additionnelle. Dès lors, c’est la Loi elle-même qui pourrait être éventuellement contestée et non son application. Ceci peut susciter, en effet, de la part du contumax, selon qu’il avisera, une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) pour contester la loi qui est appliquée à son cas, s’il considère qu’elle est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Il s’ensuit qu’il est inexact et tout à fait inéquitable d’accuser la CEI de partialité. En le faisant, c’est ignorer précisément par esprit partisan, les dispositions pertinentes du Code Electoral, pour apprécier l’application combinée de l’article 25 du Code Pénal et de l’article 4 du Code Electoral au cas du Président Laurent GBAGBO. La surprise feinte de ses conseils est plus stratégique et communicationnelle que REELLE. Ajoutons, enfin, qu’à quelque moment qu’il se représentera à la Justice en Côte d’Ivoire, pourvu que ce soit avant la prescription, le jugement prononcé et les procédures engagées contre lui seront anéantis de droit, à moins qu’il ne bénéficie avec ses co-accusés (Aké N’GO, Désiré Dallo, et Koné KATINA, tous libres) d’une amnistie de la part du Président de la République (tradition du 7 août), avant la date de clôture du dépôt de candidature, en rappelant toutefois, si de besoin, que la BCEAO et les banques commerciales privées, victimes de ce « forcing » qui ont été lésées dans cette affaire, ne sont pas la propriété de la Côte d’Ivoire. Il a bien fallu que l’Etat les désintéresse de leur préjudice.