La Côte d’Ivoire a dépassé, depuis lundi, la barre des 600 cas des personnes infectées au Covid-19. Journaliste, Directeur général du quotidien L’intelligent d’Abidjan, Alafé Wakili a séjourné récemment en Europe. Rentré à Abidjan une semaine avant la fermeture des frontières aériennes, maritimes et terrestres, Alafé Wakili partage avec Afrique-sur7.fr son expérience de la crise sanitaire et fait des propositions. Entretien.
Covid-19: « J’ai passé deux semaines au ralenti, dans une sorte d’auto confinement » (Alafé Wakili)
Vous êtes ivoirien, revenu de France quelques jours avant la prise des mesures par le gouvernement contre la propagation de la maladie à Coronavirus 2019 en Côte d’Ivoire. Après un auto-confinement de plusieurs jours que vous vous êtes volontairement imposé, comment vous sentez-vous?
Alors que mon retour était prévu pour le 15 mars 2020, et que je devais même repartir pour d’autres rendez-vous une dizaine de jours plus tard, j’ai choisi de rentrer au pays le 7 mars 2020, avant les mesures de fermeture des frontières ici en Côte d’Ivoire.
À l’aéroport Félix Houphouët Boigny, j’ai subi le test de température avec succès et j’ai passé deux semaines au ralenti, dans une sorte d’auto confinement en évitant ou limitant tout contact direct avec des tiers.
Durant la période, je suis resté en contact avec toutes les personnes que j’ai rencontrées lors de mon séjour en Europe, pour m’assurer que tout le monde va bien. Jusqu’à présent, je maintiens comme je peux ce contact qui est utile pour le moral des uns et des autres.
40 jours après mon arrivée au pays, je me sens bien, et surtout je reste vigilant. Autour de moi, j’ai sensibilisé au maximum sur les précautions à prendre, et je me dis qu’en Afrique et en Côte d’Ivoire, nous n’avons pas encore passé la période la plus difficile, et qu’il y a lieu de nous préparer psychologiquement au pic annoncé !
Si cela ne vient pas finalement alors que nous nous y sommes préparés tant mieux, mais au moins nous n’aurons pas été surpris.
La Côte d’Ivoire compte à ce jour plus de 600 cas déclarés de personnes infectées au Covid-19, comment expliquez-vous cette rapide progression de la maladie dans notre pays ?
Un mois après, peut-on dire que la progression est aussi rapide que cela, alors que nous n’avons pas encore atteint le pic annoncé ? Ce qui est intéressant pour nous, si on considère qu’il n’y avait pas de cas dans le pays, jusqu’au 11 mars 2020, est-ce que la fermeture de la frontières aérienne et des autres frontières, nous expose à moins de risques?
La maladie étant venue de l’extérieur, avec environ 2000 personnes venant d’Europe et de la Chine par jour, nous étions dans une situation de risque depuis le début de l’apparition du Virus en décembre 2019. Dieu merci, c’est le 11 mars 2020, qu’un premier cas a été constaté chez nous, à peu près au même moment en Afrique.
Depuis trois semaines, l’on peut dire qu’il n’y a plus de risque de contamination venant de l’extérieur. À présent, l’enjeu est de maîtriser la propagation du virus à l’intérieur de nos frontières. C’est une tâche difficile, mais pas impossible ! Si nous restons disciplinés et solidaires, nous y parviendrons.
Car il semble que si les personnes positives sont isolées et guéries et que la chaîne de contamination est vite brisée, il sera plus facile de lutter contre le Virus, dans l’attente lointaine d’un vaccin.
Faut-il craindre le pire les jours à venir ? Autrement dit, la Côte d’Ivoire a-t-elle les moyens de faire face à un pic de contamination ?
Il ne faut rien exclure ! Oui il faut se préparer au pire comme je l’ai dit déjà! Vous savez: tout reste possible, même si nous sommes enclins à être optimiste, en nous disant que l’instinct de survie peut conduire chaque habitant du pays, à agir en prenant soin de lui, à travers le respect strict des mesures prises. Chacun doit comprendre qu’il ne sert à rien de jouer les durs car le virus n’a pas d’amis !
Aucun pays au monde n’a eu assez de moyens pour ressouder la crise ! J’ai dit à un ami qui se plaignait du manque de respirateurs ceci : « Imagine même qu’on ait 24 millions de respirateurs, à savoir un respirateur par habitant, mais si on ne respecte pas les mesures barrières, et que tout le monde est contaminé et malade, qui va soigner qui ? ».
Bien entendu, un tel schéma catastrophe n’est pas envisageable, mais il s’agit d’une invitation à la responsabilité pour aller à l’essentiel et au respect des mesures barrières.
Que faut-il faire, selon vous ?
Ce qu’il faut ? Vous savez, il n’y a pas de solution miracle ! J’ai appris que sur la base de l’expérience des contrôles à la sortie d’Abidjan, les premiers jours d’isolement de la capitale ivoirienne, les autorités ivoiriennes envisagent un renforcement du dépistage et des contrôles plus accrus, pour détecter et isoler les porteurs éventuels. Vous savez, moi je suis rentré de France depuis 40 jours sans avoir fait la maladie, ni avoir été contaminé à ce jour.
Pour autant je ne suis pas immunisé de façon absolue tant qu’un test de sérologie n’est pas fait pour savoir si j’ai les anti corps nécessaires au cas où je serais infecté. Mieux, si je ne prends pas des précautions, je peux toujours être contaminé. C’est cela la difficulté de cette maladie dont le remède thérapeutique n’existe pas encore.
Pour revenir à ce que le gouvernement veut faire, j’ai appris qu’il s’agit d’installer les unités de contrôle et de dépistage sur le parcours des travailleurs, dans des lieux et centres publics, dans des supermarchés et commerces (jusqu’à présent, l’accent a été mis sur les populations des zones résidentielles, et non sur les lieux de travail, de commerce et les zones de circulation).
Le dispositif pourrait ainsi être renforcé au niveau des supermarchés, des autoroutes, dans le secteur du transport, c’est à dire les activités essentielles qu’il n’est pas possible de mettre à l’arrêt pour le moment sans solutions alternatives, sous peine d’en rajouter aux peines des populations. Cette stratégie a un coût, mais en même temps, elle ne règle rien de façon absolue.
Elle permet certes d’isoler ceux qui sont positifs; elle permet de les aider à guérir des effets de la maladie à Coronavirus 2019, mais elle n’aide pas à immuniser totalement tous ceux qui sont négatifs. Ainsi ceux-ci ne seront pas déliés de l’obligation de faire attention et de continuer de respecter les mesures barrières. La solution, c’est de trouver au plus vite un bon protocole thérapeutique, puis à moyen terme un vaccin.
Le retour à une vie normale est à ce prix. En attendant, nous devons respecter les mesures barrières pour, si je puis dire, limiter les dégâts. Au risque d’aller ici, à un confinement total strict que les experts et gouvernants n’osent pas envisager pour le moment.