Dans une publication sur les réseaux sociaux, Justin Koné Katinan, ancien ministre ivoirien du Budget sous Laurent Gbagbo, a livré son analyse de la décision du chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, de ne pas rempiler pour un troisième mandat.
Présidentielle 2020 : Koné Katinan livre les raisons de la décision du retrait du président Alassane Ouattara
Nous voici encore plongés dans la joie candide de la douce enfance de la politique africaine. Joie spontanée, rires aux éclats pour célébrer les mirages. Pourtant, il suffit tout simplement de souffler sur l’écume pour découvrir la triste réalité des faits. Depuis hier 5 mars 2020, le Chef de l’État ivoirien est devenu un dieu de la démocratie en Afrique.
Sur l’autel dressé à sa gloire, l’on y accourt, qui avec l’encens, qui d’autre avec des couronnes de lauriers, qui enfin avec surtout des hommes politiques, ivoiriens ou d’ailleurs, à immoler.
Les Brutus ivoiriens de tous les bords sont heureux. Ils ont désormais un dieu qui sanctifie leurs parricides programmés il y a belle lurette. Ainsi va la politique sous les tropiques. J’ai beau chercher, dans son discours, en quoi devrons-nous construire un panthéon pour le démocrate Ouattara sans trouver la moindre réponse. Je me suis posé tout simplement 4 petites questions.
– Primo, Ouattara nourrissait-il la volonté de briguer un 3e mandat ?
– secundo, Ouattara peut-il briguer un troisième mandat ?
– tertio en quoi le tripatouillage de la Constitution qu’il entreprend est-il différent de ce qui se passe ailleurs ?
– quarto, à qui finalement Ouattara s’adressait ?
1. Ouattara veut-il briguer un 3e mandat ?
La réponse à cette question est un oui évident. C’était la raison fondamentale de l’écriture d’une nouvelle Constitution en 2016 dans laquelle toutes les clauses handicapantes pour Ouattara ont été levées. Il s’agit notamment de la clause qui fixait la limitation d’âge à 75 ans et de celle qui exigeait des candidats un état de santé en conformité avec les exigences de la fonction présidentielle constaté par un collège de médecins.
En quoi ces clauses étaient de trop dans l’ancienne constitution pour justifier leur effacement dans la nouvelle Constitution ? S’appuyant sur une jurisprudence que l’on ne retrouve seulement en Afrique où le changement de quelques articles d’une Constitution confère une virginité au Président sortant, Ouattara n’a jamais caché, ni dans ses discours, ni dans les faits, sa volonté de briguer un troisième mandat. La question est de savoir s’il en avait les moyens.
2.Ouattara a-t-il les moyens de briguer un 3ème mandat
Deux moyens dirigent, alternativement ou cumulativement, l’action politique. Il s’agit de la légalité et de la force.
Ouattara dispose-t-il de l’un de ces deux moyens ou des deux à la fois ?
1.1. La Légalité qui manque à Ouattara
Disons les choses tout nettement. Rien dans la Constitution de 2016 inspirée par lui-même n’autorisait Ouattara à être candidat. Après avoir été candidat, d’abord en 2010 par disposition dérogatoire grâce aux fusils placés sur la tempe de la nation depuis 2002, puis par dérivation en 2015, Ouattara n’avait que la jurisprudence absurde ci-dessus rappelée pour contourner la légalité constitutionnelle en Côte d’Ivoire en 2020. Mais en 2010 et en 2015, sa candidature à titre exceptionnel n’avait été possible que parce qu’il avait avec lui une force qu’il n’a plus en 2020.
2.2. La Force qui manque à Ouattara
L’échec de Ouattara de transformer le RHDP, l’appareil politique qui l’a conduit au pouvoir en 2011 et en 2015, en un parti unique sous ses ordres a sonné le glas de ses ambitions.
Sans la caution politique du PDCI et la caution militaire de son chef des opérations guerrières, Soro Guillaume, Ouattara a perdu tous ses moyens de force. La relique de RHDP qui lui reste entre les mains n’est pas capable de soutenir une opération de passage en force comme il projetait de le faire.
Ne disposant ni de l’un ni de l’autre de ses moyens, Ouattara n’avait plus de choix.
A cela, il faut reconnaître que ses parrains présentaient depuis un certain temps des signes d’essoufflement et parfois même d’agacement devant les excès de plus en plus décriés de Ouattara. Au total, légalement, politiquement et diplomatiquement, monsieur Ouattara est au bout du rouleau. Il n’a plus de choix que d’abdiquer et de trouver un successeur parmi les princes héritiers.
Dès lors, quel est le mérite de Monsieur Ouattara qui justifie autant de lauriers dressés sur sa tête ? En quoi le désistement involontaire de la commission d’une infraction constitue un mérite pour son auteur ? Au Pénal, une telle tentative est punissable au même titre que l’infraction elle-même. Pour introniser le prince, il faut évidemment tripatouiller la Constitution. Ouattara espère que son départ involontaire du pouvoir pourra servir de monnaie de change pour acheter la conscience des Ivoiriens en faveur de ce tripatouillage de la Constitution.
3. Tripatouiller la Constitution pour partir tout en restant
Ayant perdu sa bataille pour un troisième mandat présidentiel, Ouattara veut au moins assurer les arrières. Ses faits d’arme en politique depuis son apparition sur la théâtre politique ivoirien ne plaident pas en faveur d’une retraite politique paisible. À tout moment, l’histoire peut l’interroger. Dans de telles circonstances, à défaut d’être lui-même roi, Ouattara aimerait bien jouer, à la place du peuple, le rôle de faiseur de roi. Il lui faudra trouver dans son écurie l’étalon qui lui fera gagner ce dernier pari. Ou, à tout le moins, couper la tête à toutes les victimes directes de ses méfaits afin que celles-ci ne lui survivent pas.
Si, lui Ouattara, arrivé au pouvoir dans le troisième âge s’enorgueillit de son succès à la tête de l’État, pourquoi dénierait-il une telle capacité à un autre troisième âge ? Mais cet argument a l’avantage de séduire une partie de l’opinion et Ouattara entend l’exploiter à fond à son avantage. Pour cela, il lui faut toucher à la Constitution. Ce qui n’est pas acceptable. La Côte d’Ivoire ne peut pas être un Lego géant dans les mains d’une seule personne qui lui en donne la forme qu’il veut quand il veut. Quelles qu’en soient les motivations, la Constitution d’un pays ne peut se changer suivant les humeurs d’une seule personne.
Pourquoi doit-on applaudir le tripatouillage de la Constitution en Côte d’Ivoire et le blâmer ailleurs. Quelle est cette démocratie dans laquelle le Chef de l’État peut se passer du peuple et faire modifier la Constitution par un parlement dont certains des membres ont été directement nommés par lui. Si l’on condamne le référendum constitutionnel en Guinée Conakry, pourquoi doit t’on acclamer une révision constitutionnelle entre copains en Côte d’Ivoire.
La CEDEAO doit être cohérente dans ses positions. Sinon sa démarche en direction de la Guinée sera suspecte comme l’est le quasi-simultané satisfécit de monsieur Emmanuel Macron au discours de monsieur Ouattara. Les termes du satisfécit de Macron prouvent que Ouattara ne parlait pas seulement aux Ivoiriens.
4. À qui d’autre Ouattara s’est-il adressé hier
Le timing du report de dernière minute du référendum en Guinée suite à la pression de la CEDEAO et le discours de Ouattara indique clairement qu’une autre mission était assignée à Ouattara : casser du Alpha Condé. Les enjeux géopolitiques dans la sous-région ouest africaine se cristallisent actuellement autour du FCFA et de la présence, de plus en plus agaçante pour Paris, de puissances étrangères dans la région.
Sur ces deux questions, l’opposant Cellou Dalein Diallo rassure plus que Condé Paris. Le premier ne cache pas son intérêt pour le CFA mué en ECO Macron-Ouattara. Sous l’aspect d’une exigence d’alternance démocratique en Guinée se joue une bataille sourdine dont les enjeux échappent à l’opinion publique.
Après avoir coupé l’herbe sous le Nigéria sur l’ECO, Ouattara vise la Guinée. Ainsi, il aura payé toutes ses dettes vis-à-vis de ses créanciers qui ont investi beaucoup, au-delà de la décence, dans son avènement au pouvoir. Il aura tenu toutes ses promesses vis-à-vis d’eux, les vrais bénéficiaires de sa gouvernance. Toutes sauf une dernière : accepter de se faire remplacer par quelqu’un de leur choix si celui de Ouattara ne rassure pas. Les réseaux sont en branle depuis longtemps sur cette option.
Macron pourrait bien essayer le coup de Hollande au Bénin en 2016. Ouattara, après avoir coupé des têtes à droite, puis à gauche dans son propre camp, pour faire place nette à son poulain, ne s’est-il pas affaibli lui-même et rendu davantage vulnérable aux pressions de ses parrains ? L’espace politique en Côte d’Ivoire est occupé à majorité par des experts en opportunisme.
Adopter deux positions diamétralement opposées en l’espace d’une journée est un très caractéristique très banal chez les acteurs politiques ivoiriens. Pour peu que leur pitance et leur gloire personnelle en soient assurées. Son discours du 5 mars 2020 pourrait coûter à Ouattara une dévaluation de son titre à la bourse des valeurs de la politique ivoirienne. Certains de ses amis d’hier parmi les plus zélés pourraient bien déporter leur mise sur d’autres titres plus porteurs.
Mais Ouattara peut se consoler, il y a beaucoup de chance qu’il ne soit pas seul dans cette situation. Dans un pays où les politiques se battent rarement pour leurs convictions mais régulièrement pour leurs gains immédiats, le moindre changement dans le paysage politique peut changer le comportement du militant en commerçant. Dans tous les cas, comme l’a dit Jules César, le 10 janvier l’an -49, depuis le 5 mars 2020, Alea Iacta Est pour la succession de Ouattara.
Le ministre Justin Katinan KONE