Le mercredi 12 Décembre 2019 a eu lieu le lancement officiel du registre national des personnes physiques (RNPP) sous l’égide du ministre d’Etat, ministre de la défense, Hamed Bakayoko. Cette production de données a été confiée à la société SEMLEX groupe, sur la base d’un appel d’offre problématique qui n’avait suscité aucune réaction du parlement. La société qui produira pour 470 milliards Fcfa sur 12 ans, 36 millions de documents biométriques, fera aboutir une loi adoptée en 2013. Si à la veille de l’élection présidentielle, la production de nouvelles cartes nationales d’identité est saluée, les enjeux de la protection de données personnelles restent considérables.
Une innovation en théorie salutaire pour la gestion des données personnelles
A l’air de la révolution numérique, il était temps pour la Côte d’Ivoire de se mettre à jour. La gestion des bases de données sur sa population et la fraude à la nationalité nécessitaient une solution durable. Aussi, sécuriser l’environnement des transactions commerciales et financières, participe de la bonne gouvernance qui manque au pays à bien des niveaux. Le gouvernement a décidé de franchir le pas de la gestion moderne des données. Une nouvelle diversement interprétée par les ivoiriens.
Même si l’Office National d’identification (ONI) a été relégué au rang d’exécutant, ce qui alourdira le coût du projet, l’initiative fait suite à une loi adoptée en 2013. La loi n°2013- 450 du 19 juin 2013 relative à la protection des données à caractère personnelle, avait préparé le cadre d’une telle évolution qui se concrétise aujourd’hui. Cependant la communication du gouvernement est mal engagée pour rassurer les ivoiriens. L’argumentaire de présentation un peu tendancieux, utilisé par le ministre de la défense semble tirer ce dispositif sur le terrain politique.
Et fonder cette innovation de prime abord sur la lutte contre la fraude à la nationalité ou à l’identification des personnes, semble une approche réductrice au regard de son caractère économique. Comme l’a dit Hamed Bakayoko, « ce n’est même pas nous qui aurons à prouver que nous sommes nous-mêmes. C’est la correspondance de ces données à votre propre numéro d’identification unique (NNI) ». Avant de renchérir que « demain, vous pouvez arriver à la banque sans papier. Si la banque a la base de données, vous n’avez qu’à donner vos empreintes et on sait que c’est vous. Et vous faites vos opérations sans chéquiers, sans carte de crédit… ». Postulat qui est fortement discutable.
Comment cerner l’ampleur et les enjeux des données personnelles pour les citoyens dans un contexte de méfiance?
Faire la différence entre la production de données personnelles et leur protection d’avec les moyens de paiements bancaires, éviterait les amalgames. Il apparaît évident que la protection des données personnelles, confère à une personne le respect de sa personnalité juridique. Ainsi sa responsabilité est-elle attachée à chaque acte qu’il pose en rapport avec la traçabilité générée par les données. Mais au-delà de cette différenciation, la question structurelle reste une problématique essentielle à clarifier.
Comment le gouvernement entend-il migrer les données produites par les communes ou les sous préfectures les plus reculées du pays, vers ce dispositif? L’accès à internet et les compétences en matière de traitement de données sensibles, reste un point clé au succès du déploiement de la solution. L’autorité de régulation des télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI) et l’ONI disposeront-ils de plateformes et attributions spécifiques pour participer au traitement, au transport et à la gestion des bases de données qui seront livrées à l’Etat de Côte d’Ivoire? Les données bancaires, les données médicales et autres données académiques seront pris en compte par quel mécanisme?
Autant de questions que le gouvernement doit clarifier avant l’effectivité du processus. Car il est aisé de jouer sur les peurs des populations, héritées des conflits du passé et en rapport avec l’état civil, pour faire appliquer une reforme. Mais les questions techniques et pratiques sont celles pour lesquelles le parlement devrait inviter le gouvernement à donner plus d’informations. Déployer un dispositif aussi important sans que le gouvernement n’explique les tenants et les aboutissants à la population en dehors de tout contexte politique, se rapporterait à une violation des libertés individuelles et au droit des ivoiriens à l’information.
L’article 2 de la Constitution ivoirienne de novembre 2016 stipule que « La personne humaine est sacrée. Les droits de la personne humaine sont inviolables. Tout individu a droit au respect de la dignité humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique ». Alors procéder à la collecte massive de données personnelles par une entreprise privée, sans expliquer aux ivoiriens l’ampleur de son utilisation, le cadre de traitement ni les moyens de recours pour s’opposer à leur exploitation ou non, serait arbitraire. De plus, l’évocation de la question sécuritaire et du terrorisme ne serait pas plus pertinent que cela. Être fiché ne prévient pas un acte terroriste, encore que des empreintes digitales peuvent être isolées d’un point de contact.