Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale, est catégoriquement opposée à la levée des conditions imposées à la libération de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, comme souhaité par ses avocats à travers une requête soumise aux juges de la Chambre d’appel, début octobre dernier.
La requête de Fatou Bensouda aux juges de la Chambre d’appel
CPI: Le procureur demande a ce que la requête déposée par la défense de M. Gbagbo, demandant à la Chambre d’appel (1) de reconsidérer son arrêt imposant des conditions à la libération de M. Gbagbo ( » Arrêt sur la libération conditionnelle « ) ; et (2) d’ordonner la libération immédiate et inconditionnelle de M. Gbagbo, soit être rejetée.
I. Introduction
1. La requête déposée par la défense de M. Gbagbo, demandant à la Chambre d’appel (1) de reconsidérer son arrêt imposant des conditions à la libération de M. Gbagbo ( » Arrêt sur la libération conditionnelle « ) ; et (2) d’ordonner la libération immédiate et inconditionnelle de M. Gbagbo, devrait être rejetée. Le réexamen est inutile et inapproprié parce que l’arrêt relatif à la mise en liberté sous condition, le Statut de Rome (le » Statut « ) et le Règlement de procédure et de preuve (le » Règlement « ) prévoient que la Chambre d’appel peut réviser les conditions de la mise en liberté à la demande d’une partie. Dans sa demande, la défense de M. Gbagbo ne justifie pas non plus la révision du jugement de libération conditionnelle visant à libérer sans condition M. Gbagbo.
II. Confidentialité
2. Conformément à la norme 23 bis 2 du Règlement de la Cour, cette réponse est déposée confidentiellement après la classification de la requête à laquelle elle répond et parce qu’elle fait référence à des informations confidentielles. Une version expurgée publique du présent sera déposée dans les meilleurs délais.
III Contexte procédural
3. Lors d’une audience orale tenue le 15 janvier 2019, la Chambre de première instance I, à la majorité, le juge Herrera Carbuccia, dissident, a rendu son verdict acquittant M. Gbagbo et M. Blé Goudé de toutes charges. Le 16 janvier 2019, la Chambre de première instance par majorité, le juge Herrera Carbuccia, dissident, a rejeté oralement la demande de l’Accusation en vertu de l’article 81 3 c) i) de libérer M. Gbagbo et M. Blé Goudé sous conditions5. La majorité a également rejeté la demande du Procureur pour un sursis en attendant que cette décision fasse appel.6
4. la suite de l’appel interjeté par l’Accusation conformément à l’article 81 3 c) ii)7, le 18 janvier 2019, la Chambre d’appel, composée à la majorité des juges Morrison et Hofmański, juges dissidents, a accueilli la demande d’effet suspensif de l’Accusation.8 Le 23 janvier 2019, le Procureur a déposé son mémoire en appel.9 La Défense de MM. Gbagbo10 et Blé Goudé11 ainsi que les victimes participant aux procédures,12 ont répondu le 29 janvier 2019. Le même jour, le Greffe a déposé un rapport confidentiel sur les observations des États concernant la libération et la libération conditionnelle13. Une audience devant la Chambre d’appel a eu lieu le 1er février 2019. Le 1er février 2019, la Chambre d’appel a rendu l’arrêt relatif à la mise en liberté sous condition et amendé la décision de la Chambre de première instance du 16 janvier en imposant des conditions spécifiques à M. Gbagbo et M. Blé Goudé dès leur libération à un État disposé à les accepter sur son territoire et disposé et apte à les appliquer14.
5. Le 16 juillet 2019, la Chambre de première instance a rendu ses motifs écrits15, auxquels ont été annexés l' »Opinion du juge Cuno Tarfusser « 16, les « Motifs du juge Geoffrey Henderson « 17 et l' »Opinion dissidente « 18 du juge Herrera Carbuccia (collectivement, les « motifs du 16 juillet 2019 »).
6. L’avis d’appel de l’Accusation a été déposé en septembre 2019. Une version confidentielle du document à l’appui de l’appel a été déposée le 15 octobre 2019 et une version publique expurgée le 17 octobre 2019.
7. Le Bureau du conseil public pour les victimes a déposé sa réponse confidentielle à la demande le 16 octobre 2019.
IV. les soumissions
A. Le réexamen est inutile et inapproprié parce que le jugement sur la mise en liberté sous condition, la Loi et les Règles prévoient que les conditions peuvent être révisées.
8. La défense de M. Gbagbo justifie sa demande par le fait que le réexamen est la seule voie procédurale dont elle dispose pour obtenir la libération sans condition de M. Gbagbo. Toutefois, dans l’arrêt relatif à la mise en liberté sous condition, la Chambre d’appel a expressément prévu son examen :
« La Chambre d’appel peut revoir et modifier les conditions de libération à l’avenir. de sa propre initiative ou à la demande d’une partie ou d’un participant. »
9. En plus d’être expressément reflétée dans l’arrêt relatif à la mise en liberté sous condition, la capacité de la Chambre d’appel de réexaminer l’imposition de conditions se trouve dans le Statut et dans le Règlement.
10. Le pouvoir de la Chambre d’appel d’imposer des conditions à la personne acquittée en attendant l’appel découle de l’interaction entre le pouvoir accessoire conféré par la l’article 81, paragraphe 3, point c), et l’article 83, paragraphe 1, une fois que l’affaire a atteint le stade de l’appel. Elle » résulte également de l’interprétation de la règle 149 du Règlement lue avec les articles 57 3 a), 60 2) et 64 6 f) du Statut et la règle 119 du Règlement, en plus des pouvoirs accessoires de la Chambre d’appel de protéger l’intégrité de son processus « .
11. L’interprétation de ces dispositions et de dispositions supplémentaires permet également à la Chambre d’appel de réexaminer l’exercice de son pouvoir d’imposer des conditions. Ainsi, en vertu de l’article 60 3 du Statut, la Chambre d’appel – » à tout moment à la demande du Procureur ou de la personne concernée » – peut réexaminer et modifier sa décision concernant les conditions de libération. En vertu de la règle 119 2), la Chambre d’appel « [l]a demande de l’intéressé ou du Procureur ou de sa propre initiative[…] peut à tout moment décider de modifier les conditions » restreignant la liberté.
12. Étant donné qu’il est expressément prévu une façon de réexaminer l’arrêt sur la mise en liberté sous condition, qui figure dans l’arrêt lui-même, dans le Statut et dans le Règlement, il est inutile et inapproprié de recourir à la mesure exceptionnelle qu’est la reconsidération.
13. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de réexaminer la décision parce que le réexamen est expressément prévu. La défense de M. Gbagbo s’appuie sur l’avis du juge Tarfusser du 16 juillet 2019 – rendu après l’arrêt de mise en liberté sous condition – pour soutenir que le réexamen est justifié parce que la décision d’imposer des conditions à la libération de M. Gbagbo a été prise par la Chambre d’appel agissant en première instance, privant ainsi la défense d’un contrôle en appel. Toutefois, l’arrêt relatif à la mise en liberté sous condition a été rendu à la suite d’un appel interjeté par l’Accusation contre la décision de la Chambre de première instance – prise à la majorité – de libérer sans condition M. Gbagbo et M. Blé Goudé. Il a été délivré par la Chambre d’appel agissant en sa qualité de cour d’appel. Le fait que la Chambre d’appel ait décidé de modifi
er la décision de mise en liberté en imposant des conditions, comme elle est habilitée à le faire en vertu du Statut, n’a pas privé les Parties d’un réexamen en deuxième instance. En outre, comme indiqué, outre le Statut et le Règlement, l’arrêt sur la mise en liberté sous condition lui-même prévoit un moyen de réexaminer les conditions imposées, ce qui va à l’encontre de l’affirmation de la Défense selon laquelle il n’y a aucun recours..
14. Le moment choisi pour présenter la demande indique en outre que le réexamen n’est pas la solution appropriée. Par souci de cohérence, le réexamen fondé sur l’argument – comme ici – que la décision attaquée contient une « erreur manifeste de raisonnement », est « manifestement mal fondée » et ses conséquences « manifestement insatisfaisantes », doit être déposé le plus tôt possible lorsque lesdites caractéristiques ou effets deviennent apparents. La défense de M. Gbagbo a déposé la demande environ huit mois après le prononcé du jugement de mise en liberté sous condition.
B. La défense de M. Gbagbo ne justifie aucune circonstance justifiant la révision de l’arrêt de mise en liberté sous condition en révoquant les conditions imposées.
15. Même si la Chambre d’appel devait considérer la demande comme une requête de la défense de M. Gbagbo tendant à « réexaminer et modifier les conditions de sa libération » en révoquant la Défense n’a pas apporté de preuves à l’appui de toute circonstance justifiant la révision de l’arrêt de mise en liberté sous condition visant à libérer sans condition M. Gbagbo.
16. Bien que la Chambre d’appel n’ait pas précisé les critères de contrôle dans l’arrêt relatif à la mise en liberté sous condition et que la règle 119 2) soit également muette à cet égard, des indications peuvent être trouvées dans le critère de l’article 60 3) concernant le contrôle des décisions de libération ou de détention. L’article 60(3) prévoit dans la partie pertinente que :
« A l’issue de cet examen,[la Chambre] peut modifier sa décision concernant la détention, la mise en liberté ou les conditions de mise en liberté, si elle est convaincue que le changement de circonstances l’exige. »
17. Les arguments avancés par la défense de M. Gbagbo dans sa demande ne démontrent pas un changement de circonstances nécessitant la libération inconditionnelle de M. Gbagbo.
18. Le seul fait nouveau identifié par la défense de M. Gbagbo est que l’Accusation a déposé son avis d’appel. Dans l’arrêt relatif à la libération conditionnelle, la Chambre d’appel a considéré que l’Accusation avait déjà exprimé son intention d’interjeter appel des acquittements de MM. Gbagbo et Blé Goudé, mais en déposant l’acte d’appel, l’Accusation est allée au-delà de son intention et a fait appel de ces acquittements.
19. Selon la Défense, en conséquence de l’avis d’appel, M. Gbagbo sera privé de ses droits pendant une période supplémentaire en attendant le prononcé de l’arrêt d’appel à moins que les conditions ne soient révoquées. Toutefois, le dépôt de l’avis d’appel ne peut être considéré comme un changement de circonstances justifiant un examen des conditions. En effet, il ne s’agit pas d’un « changement de certains ou de tous les faits » sous-jacents à l’arrêt de mise en liberté sous condition, « ou d’un fait nouveau convainquant une chambre qu’une modification de sa décision antérieure est nécessaire ».
20. Le dépôt de l’avis d’appel ne constitue pas un changement dans les faits qui sous-tendent la conclusion de la Chambre d’appel selon laquelle M. Gbagbo pourrait prendre la fuite s’il était libéré sans condition. Pour sa conclusion sur le risque de fuite, la Chambre d’appel s’est appuyée sur » les nombreuses décisions dans la présente affaire dans lesquelles il a été déterminé que la gravité des charges et la peine potentiellement élevée qui en résulte, l’existence d’un réseau de partisans et les moyens dont dispose M. Gbagbo constituent des incitations à la fuite « . Aucun de ces facteurs ne diminue avec l’avis d’appel, et le risque de fuite identifié doit toujours être atténué par les conditions imposées.
21. De même, le dépôt de l’avis d’appel ne constitue pas un fait nouveau nécessitant une modification du jugement de mise en liberté sous condition. Selon la Chambre d’appel, « [l]a possibilité d’imposer des conditions à une personne acquittée est justifiée par l’intérêt juridictionnel continu de la Cour à l’égard de la personne acquittée en attendant l’appel contre l’acquittement « . L’avis d’appel soumet l’affaire contre M. Gbagbo au fond devant la Chambre d’appel, démontrant ainsi l’intérêt juridictionnel continu justifiant les conditions pendant la procédure d’appel.43 Le fait que le redressement demandé dans l’avis d’appel consiste pour la Chambre d’appel à annuler la décision rendue le 15 janvier 2019 et à déclarer l’absence de procès n’affecte pas cette conclusion.
22. Outre l’avis d’appel, à la date de dépôt de la présente réponse, l’Accusation a également présenté son document à l’appui de l’appel, dans lequel elle expose plus en détail la réparation demandée. Comme dans le cas de l’avis d’appel, la Chambre d’appel n’est pas tenue de modifier le jugement relatif à la mise en liberté sous condition.
23. Les arguments contestant les fondements juridiques et factuels du jugement de mise en liberté sous condition ne démontrent pas l’existence d’un changement de circonstances justifiant un examen. Au contraire, la Défense de M. Gbagbo répète parfois les conclusions présentées devant la Chambre d’appel lorsqu’elle statue sur la libération conditionnelle.
24. La Chambre d’appel a noté que M. Gbagbo avait indiqué qu’il était disposé à accepter des conditions. Il a également noté qu’un certain Etat « qui a généralement exprimé sa volonté d’accepter M. Gbagbo, a indiqué que certaines conditions devraient être imposées ». [EXPURGÉ][EXPURGÉ][EXPURGÉ]. En outre, plutôt que de priver M. Gbagbo de ses droits fondamentaux dans une large mesure, ce qui constituerait une atteinte à sa dignité, les conditions imposées par la Chambre d’appel ont été soigneusement équilibrées avec les droits de M. Gbagbo et adaptées proportionnellement pour atténuer les risques identifiés.
Fatou Bensouda, Procureur
Fait le 17 d’octobre 2019
A La Haye, Pays-Bas