Geoffroy-Julien Kouao a livré sa position sur le concept de l’ivoirité et la question de la participation des étrangers aux scrutins électoraux en Côte d’Ivoire.
« L’ivoirité ne doit pas être diabolisée » (Geoffroy-Julien Kouao)
Invité Jeudi 26 septembre 2019, Geoffroy-Julien Kouao a pris part au Panel de l’Ambassade des Etats-Unis, en collaboration avec la Radio de la paix à l’espace américain de l’université Félix Houphouët-Boigny. Intervenant sur le thème « La question de l’identité à l’aune des élections de 2020 », le Politiste et Essayiste a fait des recommandations aux dirigeants et appelé à une dédramatisation du concept de l’ivoirité. Ci-dessous l’intégralité de sa contribution.
« J’avoue volontiers que la question est massive et, parfois sinon souvent, explosive, inflammable, d’où la prudence qui est mienne dans ma tentative de réponse. Je voudrais commencer par une définition des termes du thème. Qu’est-ce que l’identité ? Qu’est-ce qu’une élection ? L’identité est une notion polysémique aussi, dans le cadre cette rencontre et avec votre permission, je voudrais la rattacher uniquement à la politique, c’est-à-dire ne parler que de la politique identitaire. Par opposition à la rhétorique universaliste, la politique identitaire, pour faire simple, renvoie à la préférence nationale, c’est-à-dire, les nationaux d’abord.
« La préférence nationale est une idéologie politique » (Geoffroy-Julien Kouao)
En Côte d’ivoire, la rhétorique identitaire se résume à l’ivoirité. Qu’est-ce qu’une élection ? Elire signifie simplement choisir. De ce qui précède, l’élection s’analyse comme le mode normal ou le processus de droit commun de désignation et de révocation des gouvernants ou si l’on préfère le processus de légitimation du pouvoir. En 2020, la Côte d’ivoire organisera des élections générales (présidentielles et législatives) et peut-être locales (Conseillers régionaux et municipaux). Quelle est la place de la question identitaire dans la rhétorique politique et électorale en Côte d’Ivoire?
Faut-il aborder la question identitaire (l’ivoirité) ou l’éluder ? La préférence nationale est une idéologie politique. Elle constitue un critère de distinction entre la droite et la Gauche, les nationalistes et les universalistes, les souverainistes et les mondialistes. En France, par exemple, la première force politique, le Rassemblement national est pour la préférence nationale : Les français d’abord. Celle-ci pose la question de l’accueil et de l’intégration des non nationaux c’est-à-dire les étrangers dans le corps social, économique et politique du pays où ils vivent.
Pour revenir à notre pays, la question des étrangers en Côte d’Ivoire ne doit pas être un sujet tabou. Dans une démocratie républicaine, il n’y a pas de sujets tabous. L’ivoirité, rhétorique politique qui prétend mettre l’accent sur la préférence nationale ne doit pas être diabolisée à défaut d’être acceptée. L’ivoirité n’est pas une faute politique encore moins une erreur idéologique. Elle met l’accent sur la préférence nationale. C’est tout. Le problème est de savoir si nous avons les instruments et les aptitudes démocratiques nécessaires pour aborder une telle question pour en faire une dynamique de développement.
« Je propose la participation des étrangers à l’élection… » (Geoffroy-Julien KOUAO)
Est-ce que notre démocratie est assez forte pour porter et construire qualitativement le débat public relativement à l’ivoirité ? La qualité de notre personnel politique et l’absence de débats publics contradictoires me laissent sceptique. Personnellement, je pense que l’étranger, ce n’est pas le mal, c’est un atout, un avantage. Nous pouvons faire de l’intégration des étrangers une dynamique de développement. C’est ma position. Cependant, je comprends que des personnes et des forces politiques ou sociales aient des opinions contraires.
Les débats publics contradictoires organisés régulièrement par la presse publique et privée devraient permettre aux citoyens d’avoir une idée claire des différentes opinions politiques et de les départager dans les urnes le moment venu. La démocratie est simple. La population ivoirienne est, selon le recensement général de la population et de l’Habitat (RGPH 2014), de 23.671.331 Habitants dont 5.490.222 de non ivoiriens, soit 24,2%. Comment faire de cette forte présence d’étrangers sur notre sol, un atout politique ? Dans mon dernier essai intitulé « 2020 ou le piège électoral ? », je propose la participation des étrangers à l’élection des conseillers municipaux et des conseillers régionaux, en qualité d’électeurs.
La raison est simple, nous avons des villes, des communes et même des régions où le nombre de personnes non ivoiriennes est égal voire supérieur à celui des nationaux. Dans le district d’Abidjan, pour prendre ce seul exemple, toujours selon la référence précitée, nous avons à Yopougon environ 14% d’étrangers, à Abobo 23%, le Plateau environ 24%, Cocody 28%. A Adjamé, il y a 49,6% d’étrangers ; à Attécoubé, 50,6% ; à Koumassi 43,7% ; à Marcory 44,8% ; à Port-Bouët 45,3% et à Treichville 50,4%. Notre gouvernance politique, au niveau local, doit tenir compte de ces données démographiques et sociales, parce que, tout simplement, c’est ce que nous sommes ».
Geoffroy-Julien KOUAO
Politiste et Essayiste
Dernier livre « 2020 ou le piège électoral, l’indispensable réforme théorique, juridique et institutionnelle des élections en Côte d’Ivoire » Edition Plume Habile, 2019.