Alors que son porte-flingue préféré Franklin Nyamsi affuble Guillaume Soro de qualités exceptionnelles et lui confère des exploits démocratiques dont lui seul sait le contexte, l’ex-chef rebelle n’a pas fait la lumière sur le braquage de la BCEAO auquel il n’est pas étranger. On repassera donc avec Nelson Zimin sur cette affaire de l’agence de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de Bouaké pour faire parler notre histoire récente. Quel est le montant du butin ? À qui a profité le crime ?
Braquage de la BCEAO de Bouaké, le film d’un écaillage à l’ivoirienne
Mon cher DEGBA,
Je voudrais que tu dises à tes petits frères que le sommeil m’en est rare depuis 7 ou 8 semaines aujourd’hui qu’ils ne vont pas à l’école. Eux qui sont en classe d’examen, il leur sera impossible de rattraper ce volume horaire qui dans le contexte actuel les conduit, en plus de l’échec vers un long retard sur leur génération. Tu sais, dans ces moments d’extrême colère, je me remémore les chapitres sombres de notre jeune histoire. Et celle qui me vient à l’esprit est le braquage de la BCEAO de BOUAKÉ. Une histoire de dingue et une farce pour amateurs qui ont fait d’un leader générationnel, un milliardaire sans valeurs.
Nous sommes en 2003, les échanges de tirs, d’abord nourris, puis sporadiques, dureront trois jours. « Débordé », le chef d’état-major des « forces armées » des Forces nouvelles, le colonel Soumaïla Bakayoko, appelle à la rescousse les troupes ouest-africaines d’interposition et les soldats français de l’opération Licorne, « des forces neutres, que tout le monde respecte et que l’on peut facilement identifier ». Ces derniers réussissent rapidement à sécuriser la zone de la BCEAO et à ramener le calme. Les mystérieux braqueurs, eux, s’évanouissent dans la nature avec un joli pactole estimé, selon les sources, entre 16 et 20 milliards de F CFA (entre 24 et 30 millions d’euros), pendant que Bouaké compte ses victimes et panse ses plaies : vingt-trois morts et une trentaine de blessés. Le casse le plus peinard de notre histoire à l’ivoirienne.
Lorsqu’ils pénètrent, quelques jours plus tard, dans l’immeuble de la BCEAO, les militaires français, sénégalais, béninois, nigériens, togolais et ghanéens, ainsi que leurs accompagnateurs des Forces nouvelles, n’en croient pas leurs yeux. L’agence de la BCEAO a été carrément mise à sac, les murs éventrés, les meubles brisés, les archives brûlées ou répandues par terre. La porte blindée d’accès aux caveaux est grande ouverte, tout comme certains coffres, défoncés au chalumeau ou à la dynamite. « Sur place, on a retrouvé des morceaux de pain moisi, des boîtes de sardines vides, des assiettes avec des restes de repas, des bouteilles de Coca-Cola et de Fanta, raconte, au téléphone, le porte-parole des Forces nouvelles, Sidiki Konaté, un des actuels ministres de votre gouvernement et proche de Soro Guillaume. Il y avait même des lits de camp. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les malfaiteurs ont pris tout leur temps avant d’agir. Ils bénéficiaient sans doute de solides complicités. Un vrai travail de professionnels ! » Voilà pour les faits. Restent les questions, de ce casse pique-nique de la BCEAO.
Braquage de la BCEAO, un casse couvert par une communication mal rodée
La première s’impose d’elle-même : qui a opéré ce casse de la BCEAO ? Au moment des faits, fin septembre 2003, le même Sidiki Konaté indiquait, avec un accent de sincérité, que le casse était l’œuvre « d’hommes armés venus de Korhogo », autre ville rebelle, située plus au nord. Accusations aussitôt balayées du revers de la main par son camarade Messemba Koné, votre actuel illettré préfet dans la région du Cavally, chef militaire de la zone incriminée et ministre des Victimes de guerre dans le gouvernement de réconciliation nationale de Laurent GBAGBO: « Dès que j’ai été informé des événements qui se déroulaient à Bouaké, j’ai fait boucler ma zone, assure ce dernier. Personne n’est donc parti de chez nous pour Bouaké. Et nous ne sommes impliqués ni de près ni de loin dans l’attaque de la BCEAO. »
Alors, si ce ne sont pas ceux de Korhogo, qui donc a fait le coup du braquage de la BCEAO ? « Vos collègues de l’ Agence France Presse ont mal interprété mes propos, s’est défendu plus tard, sans convaincre, Sidiki Konaté lorsqu’il était interrogé par un organe de presse français. Compte tenu de la situation d’insécurité qui prévalait autour de la Banque, nous avions demandé l’appui de nos camarades de Korhogo, qui ne sont d’ailleurs pas venus. Nous étions en présence d’une situation inédite. Nos hommes, après tout, n’ont pas été formés pour protéger des banques, mais pour faire la guerre. » Ainsi avait-il clos de manière simpliste le braquage de la BCEAO qui les rendra tous milliardaires, avec Guillaume Soro sur les fonds d’une communauté.
« Le cambriolage de la BCEAO a été commis par des gangsters, affirme pour sa part, de façon sibylline, le chef d’état-major des Forces nouvelles, le colonel Soumaïla Bakayoko. Je ne connais pas leur identité parce que cette affaire est confuse, mais je me refuse à dire que ce sont mes éléments. Cela dit, notre organisation n’est pas parfaite. Il y a des difficultés, d’autant plus que certains d’entre nous sont très jeunes et peuvent être tentés d’ignorer les ordres. Mais ils sont globalement disciplinés, sinon c’est tout Bouaké qu’on aurait retrouvé à l’intérieur ou aux alentours de la BCEAO. […] La présence de l’argent a pu attiser les convoitises de nos populations et de certains de nos éléments. C’est compliqué, parce que cela se passe entre nous… » Une déclaration prudente, certes, mais qui sonne comme un aveu… Notons que Bakayoko a été chef d’Etat-Major des armées ivoiriennes et un proche de Guillaume Soro.
…Ne quittez pas, on y revient.
NELSON ZIMIN