Le Président Alassane Ouattara, après bientôt 10 ans de pouvoir à la tête de la Côte d’Ivoire, hésite à passer la main. Alors qu’il a affirmé à plusieurs reprises son intention de céder le pouvoir à une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques, il revient avec récurrence qu’il pense en réalité à briguer un troisième mandat qui ne serait pas son premier de la nouvelle constitution comme il l’entend. Une analyse de Patrice Dama…
Alassane Ouattara , un départ de gré ou de force ?
L’histoire entre Alassane Ouattara et la Côte d’Ivoire dure depuis les années 90 lorsqu’il a été appelé, de force ou de gré, par le Président Felix Houphouët-Boigny pour redresser une économie ivoirienne qui avait déjà oublié de longue date ses années de gloire. Ce fameux miracle ivoirien qui avait fait de la Côte d’Ivoire une des nations les plus prospères d’Afrique. Mais le pouvoir a ceci de commun avec le miel, lorsqu’on y goute, on y replonge toujours le doigt un jour. C’est donc après ses années de puissant Premier ministre que nait chez « le Brave Tchè » l’envie de présider la Côte d’Ivoire, une ambition qu’il mettra du temps à réaliser.
On ne va pas revenir ici sur les conditions dans lesquelles l’actuel Président ivoirien a pris les rênes du pays. De toute façon en Côte d’Ivoire, tous les Présidents arrivent dans des conditions « calamiteuses », de Bédié à Gueï puis Gbagbo que Ouattara a chassé pour s’y mettre.
Lors de la Présidentielle qui l’a opposé à Laurent Gbagbo au deuxième tour, Alassane Ouattara avait dit qu’il ne réclamait qu’un mandat pour faire briller la Côte d’Ivoire. Il a tout juste eu besoin de 10 ans pour enfin véritablement engager le pays dans des chantiers. Il faut le noter, le Président Ouattara a une forte préoccupation pour les infrastructures routières. Certains disent qu’il fait de ces travaux sa priorité juste parce que c’est un domaine qui lui permet de passer facilement des marchés les plus lucratifs à ses amis. À sa décharge, d’autres ont dépensé beaucoup d’argent dans le passé pour des choses qui ont peu profité au peuple.
À propos des routes, ne dit-on pas que « la route précède le développement ? » On peut donc accepter sa politique, surtout parce que le pays commence à changer de visage. Mais à quel prix ?
La Côte d’Ivoire s’est en tout cas depuis endettée à un très haut niveau, ce qui ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique et de la population et cela est suffisant pour que les Ivoiriens aient envie d’une autre personne que M. Alassane Ouattara à la tête de leur pays.
Et alors que la Constitution ivoirienne limite les mandats du chef de l’État à deux, puisque la nouvelle constitution ne contredit pas l’ancienne sur ce point, le RDR, que dis-je, le RHDP et ses porteurs de vuvuzela affichent ces derniers temps leur compréhension toute singulière de ce texte pourtant irréprochable en clarté.
L’idée d’un troisième mandat de Ouattara qui avait tout d’une blague l’est malheureusement de moins en moins, ce qui ne manque pas de désoler certains cadres silencieux de ce parti.
Il était question que le Président Ouattara, pour ne pas perpétuer la longue tradition des chefs d’États africains qui refusent de laisser le pouvoir, apporte son soutien à un cadre de son parti qui serait le plus présidentiable pour s’effacer afin de préserver les acquis de ses 10 ans de pouvoir. Plus le temps passe, de moins en moins il est question de la promotion d’un cadre RHDP autre que Ouattara en vue de la présidentielle de 2020, ce qui n’est pas normal.
Ouattara est certes le champion de ce parti, mais il n’est pas la seule intelligence en son sein. Sous prétexte qu’ Henri Konan Bédié pourrait candidater en 2020, il cherche, on ne sait par quel moyen, à se lancer à son tour dans la bataille. Et au RHDP, quand Alassane Ouattara veut, Alassane Ouattara fait parce qu’il n’y a personne d’assez courageux sur place pour lui dire qu’il se trompe.
Quand Bruno Nabagné Koné conditionne l’avenir de Alassane Ouattara à celui de Bédié
Le ministre Bruno Nabagné Koné a même osé dire que si Henri Konan Bédié se présente, le Pdt Ouattara le fera également. Quels sont les textes qui interdisent au Président Henri Konan Bédié de se porter candidat à la prochaine présidentielle quand l’âge limite du candidat a sauté ?
Par contre, on identifie très clairement dans le Chapitre 2 de la nouvelle constitution, en son Article 55, ce qui empêche une troisième candidature de Ouattara. « Le Président de la République est élu pour 5 ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois », une disposition qui ne diffère pas de celle contenue dans les précédentes constitutions ivoiriennes.
Et si Ouattara avait changé à dessein la Constitution ivoirienne qui n’était d’ailleurs pas une urgence, alors il se sera purement et simplement livré au médiocre exercice habituel de ses confrères dirigeants africains pour se maintenir au pouvoir. L’appelation « dictateur » que lui attribuent déjà les militants des partis de l’opposition ivoirienne deviendrait alors légitime par sa faute.
Tout ce que peut faire le Pdt Ouattara, c’est d’appuyer la candidature d’un membre de son parti et se positionner pour le poste de Vice-Président si telle est qu’il a été piqué par le virus du pouvoir au point de ne plus pouvoir s’en passer. Pour le reste, il devra penser à quitter ses fonctions à la fin de son mandat au risque de se rendre responsables d’un nouveau pourrissement de la situation en Côte d’Ivoire, ce qui serait dommage au regard du travail non négligeable qu’il a abattu.
Amadou Gon Coulibaly, Albert Mabri Toikeusse… il y en a des candidats au RHDP
Pourquoi Ouattara s’imagine-t-il seul homme politique au sein du RHDP a pouvoir résister au PDCI de Bédié ou à Soro Guillaume ? Plusieurs cadres de ce parti, à commencer par le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, font pourtant un travail remarquable qu’ils pourraient aussi mettre à leur actif pour justifier leur éventuelle ambition présidentielle. Et avec l’argument de toujours pouvoir compter sur le soutien de l’actuel Président, ils pourraient rapidement se construire un statut de possible futur Président.
Le ministre Albert Mabri Toikeusse, médecin de son état comme feu Felix Houphouët-Boigny, peut lui aussi porter la candidature du RHDP, même s’il n’est pas non plus dit qu’il l’emportera au terme du scrutin. Et les noms de personnes pouvant briguer la fonction chez les houphouetistes sont nombreux… Sauf que là-bas, personne n’a le droit de bouger sans le Go du Président au risque d’être précipité au rang d’ individu hors caste comme un certain Soro Guillaume.
Un Président qui se respecte ne devrait avoir qu’une parole et le Président Ouattara qui en a déjà donné plusieurs doit cesser le petit jeu de laisser trainer pour mieux s’imposer à son parti. Il doit au plus vite confirmer ce que dit la Constitution ivoirienne et que sait très bien son ami Ibrahim Bacongo Cissé qui disait qu’il n’a pas le droit à un troisième mandat avec la nouvelle constitution.
Ainsi, des cadres qui le voudraient au sein du RHDP pourraient se positionner dès maintenant pour l’ élection présidentielle de 2020. Car à moins de compter sur des méthodes peu orthodoxes pour imposer le futur candidat RHDP aux Ivoiriens, une candidature à la Présidence d’un pays comme la Côte d’Ivoire est un travail de fourmi qui se fait sur une durée beaucoup plus longue que les trois mois qui sépareront la décision du chef de l’État du scrutin. Dans l’autre sens, si une personnalité forte commence à émerger au sein du RHDP sans le consentement du Président, celle-ci répondra rapidement d’accusations de vouloir évincer le chef et tout le clan RHDP se dresserait rapidement contre cette personne.
Et ce problème de la succession de Ouattara n’est pas propre au RHDP. Henri Konan Bédié ne veut pas dire aux jeunes cadres de son parti s’il sera candidat ou non. Idem du côté du FPI où aucune alternative à Laurent Gbagbo n’est encouragée par l’ex-président lui-même alors que son épouse Simone Gabgbo apparait comme la personnalité la plus forte en son absence.
Présidentielle de 2020, ce que dit le cas Blaise Compaoré
Les têtes fortes de la politique ivoirienne doivent libérer leurs possibles successeurs qu’elles forcent à marcher sans froisser leurs susceptibilités. En attendant la position de ses deux adversaires de toujours, Ouattara doit en tout cas savoir que son éventuelle candidature créera la cohésion qui manque au sein de l’opposition où tous sont d’accord pour dire qu’il partira de gré ou de force à la fin de son mandat.
Blaise Compaoré qui n’avait jamais imaginé la sortie à laquelle il a eu droit dans un Burkina Faso où il faisait marcher droit tout le peuple est un exemple duquel devrait s’inspirer le Président ivoirien.
À bon entendeur…