Dr Christophe Kouamé, président de l’ONG CIVIS-Côte d’Ivoire, demande au pouvoir ivoirien de pratiquer une véritable lutte contre la corruption, cette gangrène solidement enracinée dans la société. Par ailleurs, il propose la voie menant à des élections démocratiques et sans heurts en 2020.
Dr Christophe Kouamé lie la corruption aux us et coutumes
Dr Christophe Kouamé, une véritable campagne est menée par votre organisation contre la corruption. Quelle définition donnez-vous à ce mal de la société humaine?
La corruption est définie comme « l’abus du pouvoir qui vous est confié à des fins personnelles ». L’abus peut être perpétré par une personne ayant un pouvoir de prise de décisions dans le secteur public ou privé. Il peut également provenir d’une personne qui essaie d’influencer le processus de prise de décisions. Généralement, « la corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance ».
Pour le citoyen ordinaire, on peut retenir que la corruption, c’est l’emploi des moyens condamnables pour faire agir quelqu’un contre son devoir, notamment en le soudoyant.« La corruption est un phénomène qui sape les institutions démocratiques, ralentit le développement socio-économique et contribue à l’instabilité gouvernementale. Elle pervertit les systèmes essentiels de réglementation publique, décourage l’investissement et déséquilibre les choix prioritaires en matière d’affectation des ressources publiques, de sorte que le système finit par profiter à quelques-uns au détriment du plus grand nombre ; ce qui a pour corollaire l’exacerbation de la pauvreté ».
Vous comprendrez avec cette définition sommaire, pourquoi CIVIS-Côte d’Ivoire pense que tous, nous devons combattre ce fléau avec une détermination inflexible, car elle touche toutes les couches de la société et c’est pourquoi, nous lançons ces activités contre ce fléau.
Quelles sont le vraies causes de ce fléau et pourquoi prospère-t-il?
Des études existent sur l’économie morale de la corruption, qui montrent que ce fléau est très lié à la culture, aux us et coutumes, souvent à la tradition, d’où la difficulté naturelle de lutter contre la corruption.
La Côte d’Ivoire enregistre, Christophe Kouamé, un taux relativement élevé d’actes de corruption ; une explication après plusieurs semaines de campagne de sensibilisation auprès des populations ?
Ici, aussi, il faut expliquer un phénomène qui est que, quand un pays décide de s’attaquer au phénomène de la corruption, les réformes juridiques et institutionnelles, les campagnes d’information et de sensibilisation font souvent croire au grand public qu’il n’y a plus d’actes de corruption. Ces six dernières années, la Côte d’Ivoire a fait un bond qualitatif dans les classements en matière de corruption. Malheureusement, il reste beaucoup à faire.
Une haute autorité pour la bonne gouvernance existe en Côte d’Ivoire. Pensez-vous qu’elle joue vraiment son rôle contre cette gangrène ?
La lutte contre la corruption, pour être efficace, sur le long terme, requiert la mise en place d’instruments sous forme de lois, de décrets et d’institutions. La HABG, Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance, fait partie de ces instruments et ses missions et attributions sont clairement définies à l’article 4 de l’ordonnance n° 2013-661 du 20 septembre 2013 fixant les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la HABG telle que modifiée par l’ordonnance n°2015-177 du 24 mars 2015.L’article 4 de l’ordonnance suscitée stipule que la HABG assure une mission de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
À ce titre, elle est chargée, notamment de mener des investigations sur les pratiques de corruption, d’identifier les auteurs présumés et leurs complices et d’initier des poursuites par la saisine du procureur de la République près la juridiction compétente.
À la lecture donc, la HABG joue son rôle, même si beaucoup reste à faire dans la sensibilisation des acteurs majeurs de la lutte contre la corruption qui ne sont pas encore très impliqués dans cette lutte, à savoir le secteur privé (la Chambre de commerce, les grandes entreprises et PME), les partis et groupements politiques, les médias.
Aussi manque-t-il des instruments majeurs efficaces pour lutter contre la corruption comme : Le document de la stratégie nationale de lutte contre la corruption ; Le décret d’application de la loi sur la protection des dénonciateurs, des experts et de leur famille ; ainsi que la nomination du procureur spécial en charge du Pôle pénal de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent.
La HABG a mené plusieurs actions d’éducation et de sensibilisation de la population sur les conséquences de la corruption. Nous pensons que la HABG doit maintenant mener des actions de répression par l’identification des auteurs présumés, leurs complices et la saisine du procureur de la République pour initier des poursuites judiciaires.
Les gouvernants ivoiriens sont-ils réceptifs à vos messages pendant la campagne? Sont-ils présents à vos séances de sensibilisation? Comment y réagissent-ils?
Les débuts ont été difficiles ! Il y a peu, nous avons commencé un dialogue avec les autorités sur le fléau. Les activités de la quinzaine de lutte contre la corruption initié par CIVIS-Côte d’Ivoire ont vu la participation des représentants des autorités au plus haut niveau de l’État comme le représentant du vice-Président ainsi que le représentant du ministre d’État, ministre de la Défense, l’Inspecteur des services judiciaires et pénitentiaires pour ne citer que ceux-là.
Au-delà de la haute autorité pour la bonne gouvernance, croyez-vous que l’État ivoirien travaille sérieusement à la réduction de la corruption ? Justifiez votre réponse !
Au-delà de la perception généralement acquise, les autorités sont très préoccupées par le fléau, cependant, les moyens adéquats ne sont pas encore dégagés pour lutter efficacement contre ce fléau, la Côte d’Ivoire a les moyens d’en faire plus.
Que préconisez-vous efficacement contre le fléau ?
Pour l’histoire, tous les pays qui ont pu juguler ce fléau ont généralement agit sur trois piliers : Les réformes juridiques et institutionnelles robustes abouties ; La formation, la sensibilisation de masse, l’affichage des informations relatives à la lutte contre la corruption dans les administrations publiques et privés ; la répression des auteurs présumés et leurs complices au sommet de l’État pour donner l’exemple.
Par analogie avec la Côte d’Ivoire, est-ce le cas? La Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’inventer la cinquième roue de la carrosse, il suffit de regarder les bonnes pratiques en la matière, elles existent autour de nous.
Le débat actuel porte sur la réforme de la CEI, commission électorale indépendante, ayant inspiré de récentes rencontres entre pouvoir, société civile et opposition, à Abidjan. L’État joue-t-il surtout franc avec l’opposition, dans les discussions sur cet organe chargé des élections ?
De 2014 à l’arrêt de la CADHP (1) Cour africaine des droits de l’homme et du peuple, obtenu en 2016, la société civile ainsi que des parlementaires avaient décrié la qualité de cette CEI en ce qu’elle ne garantissait pas l’indépendance requise pour des élections transparentes et crédibles.Finalement, c’est du 21 janvier au 23 janvier 2019, que le Premier ministre ivoirien a successivement reçu les partis et groupements politiques de l’opposition ainsi que les leaders des organisations de la société civile ivoirienne. Au cours de ces rencontres le Premier ministre a informé son auditoire que le gouvernement était disposé pour « une réforme de la recomposition de la CEI conformément à l’arrêt de la CADHP ».
Par ailleurs, en 2016, cette Cour a demandé à la Côte d’Ivoire (dans son arrêt rendu, le 18 novembre 2016) de reformer la loi n° 2014-335 du 18 juin 2014 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CEI, Commission électorale indépendante, pour la rendre conforme à ses engagements internationaux[1].En outre, la décision de la Cour fait ressortir trois (03) types de violations de l’État de Côte d’Ivoire : (i) le devoir de créer un organe électoral indépendant et impartial, (ii) le devoir de protéger le droit des citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques, (iii) le devoir de protéger l’égalité des citoyens devant la loi. In fine, la décision de la Cour va au-delà de la réforme de la recomposition de la CEI. Malheureusement, à ce jour, la méthodologie, le calendrier des rencontres ainsi que la liste des participants ne sont toujours pas connus du grand public.
Comment peut-on parvenir à une CEI crédible et performante pour les élections en 2020?Une élection est une procédure spécifique pour désigner des dirigeants et, indirectement, sélectionner des orientations et des projets de société. Aussi constitue-t-elle un mandat confié à un individu en vue de diriger au nom d’un groupe donné pour une période limitée.La réforme du processus électoral devrait être un projet national et sociétal auquel tous les secteurs de la société doivent participer.Cela veut clairement dire que c’est à la Côte d’Ivoire toute entière qu’il revient le droit de se doter d’un OGE, Organisme de gestions des élections, performant même si l’initiateur des réformes reste le gouvernement.Le 19 mars 2019, CIVIS Côte d’Ivoire a lancé une discussion citoyenne à travers une conférence-débat qui avait pour thème : « Réforme de la CEI : quelles options pour la paix en Côte d’Ivoire ? ».
Cette conférence-débat avait pour objectif d’informer l’opinion publique sur les enjeux de la paix en période de réforme électorale à la veille de l’élection présidentielle de 2020, et de mobiliser l’ensemble des groupes constitués de la société ivoirienne, afin qu’ils puissent activement participer à la préservation de la paix en Côte d’Ivoire. Le 19 mars 2019, nous serons à Yamoussoukro et à Aboisso, le 19 avril 2019.Toutes ces activités ont pour objectif d’éveiller les consciences et de susciter un débat citoyen autour de cette problématique majeure que sont les élections. Il s’agit aussi de faire un plaidoyer pour que la Côte d’Ivoire choisisse une trajectoire de paix et de cohésion sociale à travers un processus électoral épousant les principes directeurs et standards internationaux en la matière. Pour nous, la Côte d’Ivoire doit être ambitieuse et interroger la gouvernance électorale dans son ensemble au-delà de l’arrêt de la CADHP, au-delà de la seule recomposition de la CEI.
Les populations doivent-elles aller aux futurs scrutins en Côte d’Ivoire, sans une CEI réformée et crédible ?
Personnellement, je suis contre la politique de la chaise vide. Cela dit, le gouvernement doit trouver l’articulation nécessaire pour mettre tous les corps constitués autour d’un projet ambitieux de réforme du processus électoral en Côte d’Ivoire. La paix, la cohésion sociale et le développement économique de la Côte d’Ivoire sont à ce prix.
(1) Cet arrêt a été rendu à la requête de l’ONG « Action pour la Protection des Droits de l’Homme (APDH) »