Maître Guy Hervé Kam, l’unavocat de la partie civile au procès du putsch manqué du 16 septembre 2015 au Burkina Faso, estime que l’implication de l’ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne Guillaume Soro, cité dans l’affaire des écoutes téléphoniques, est « personnelle » et n’engage pas la Côte d’Ivoire, qui « n’est pas en guerre » avec son pays, dans une interview.
Selon Hervé Kam « l’authenticité des écoutes ne se discute pas »
Le procès du putsch manqué de septembre 2015 s’est ouvert il y a presque un an, le 27 février 2018, et se poursuit encore. Pensiez-vous dès l’entame qu’il prendrait autant de temps ?
Personnellement oui. C’est vrai que l’opinion publique ne s’y attendait pas, mais c’est quand même un procès hors norme comme on le dit: 84 accusés, plus de 40 témoins, 300 parties civiles, avec des accusés « poids lourds », des chefs de partis, etc. Avec tout ce que cela peut comporter comme incidents d’audience, franchement c’était très difficile que ce soit moins long. D’ailleurs, objectivement je pense que c’est trop rapide, ce qui joue sur la qualité du procès.
Comment ?
C’est un dossier de pratiquement 15.000 pages. Et pendant quatre jours dans la semaine il y a audience, donc on n’a pas le temps de prendre du recul par rapport aux révélations qui se font ou aux contestations. Un procès de ce genre doit normalement avoir de multiples suspensions pour permettre aux parties d’avoir du recul, mais là ce n’est pas le cas.
Les interrogatoires des généraux Diendéré et Bassolé étaient très attendus. L’un assume la responsabilité du putsch sans pour autant en être l’auteur, l’autre rejette tout en bloc…
Personne ne s’attendait à ce qu’ils viennent tout reconnaître. En ce qui concerne Diendéré, c’est la stratégie de « je l’ai tué, mais il n’est pas mort », alors même que le faisceau d’indices dans le dossier ne laisse aucune place pour le doute. Il en est de même pour le général Bassolé. En réalité les seuls éléments contre lui sont les écoutes téléphoniques, mais il ne veut pas qu’on en parle alors que justement ces écoutes sont corroborées par des faits matériels. Le général Bassolé notamment est prêt politiquement à pendre une sanction même lourde, pour autant que la population ne sache pas exactement ce qu’il a fait. On fait glisser la procédure des faits vers la politique.
Toute la difficulté de ce procès, c’est que compte tenu de la longueur, la population burkinabè n’a pas vraiment l’occasion de suivre et pouvoir savoir qui a fait quoi, c’est le seul regret. Sinon je pense que nous qui suivons ce procès tous les jours, avons quand même tous les éléments du puzzle.
Maître Hervé Kam, vous avez évoqué les écoutes téléphoniques dont le général Bassolé ne veut pas parler. La large diffusion d’une partie de ces enregistrements sur la toile ne justifie-t-elle pas sa position ?
Nous sommes au 21e siècle. Vous êtes au courant de l’affaire Benalla avec Médiapart qui a diffusé les écoutes téléphoniques qu’il aurait tenu et qui sont justiciables. Donc en réalité, le fait que les écoutes aient été diffusées dans les médias, c’est tout simplement une circonstance qui est dans le temps, c’est comme ça aujourd’hui. Sur le plan purement judiciaire, il n’y a aucune incidence. La question qui se pose ici est de deux ordres: est-ce que les écoutes ont été obtenues légalement ? Et deuxièmement, est-ce qu’elles sont authentiques ?
L’authenticité des écoutes ne se discute pas. C’est vrai qu’il y a une expertise qui confirme l’authenticité d’une écoute, notamment entre le général et Guillaume Soro (ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne) mais pour le reste, les interlocuteurs qui ont été entendus et qui viendront à la barre comme témoins reconnaissent avoir eu ces échanges avec lui. Bassolé lui-même a attaqué le Burkina devant la cour de justice de la CEDEAO en violation de vie privée, ce qui suppose qu’il reconnait que l’Etat burkinabè l’a écouté. A partir de ce moment, l’authenticité ne pose pas de problème.
Qu’en est-il de la légalité ?
Ces écoutes ont été faites à une période où on était sous un coup d’Etat. Il se trouve au Burkina un grand homme dont personne ne parle. C’est le Procureur général près la cour d’appel de Ouagadougou, qui le jour même du putsch, a fait sortir une note instruisant tous les officiers de police judiciaire de prendre toutes les dispositions pour constater les infractions qui sont en train de se commettre. Personne ne parle de ce document et de ce procureur qui a pris des risques énormes.
Le second point, c’est que les services de sûreté intérieure ont pris des dispositions pour faire des écoutes. Ce n’est pas le juge qui l’a décidé, on ne peut parler d’illégalité ni de nullité. On ne peut parler que de conflit par rapport à la vie privée et je pense que dans ces moments, l’intérêt général prime.
L’ancien président de l’Assemblée nationale et des militaires ivoiriens sont cités dans cette affaire. S’agit-il pour vous d’implications personnelles ou de celle de l’Etat de Côte d’Ivoire ?
C’est une implication personnelle à un haut niveau. Vous avez par exemple l’ex-président de l’Assemblée nationale, le chef d’état-major particulier du président de la République ivoirienne, beaucoup de généraux et de colonels ivoiriens dont les noms reviennent dans cette affaire. Il y a beaucoup de choses à ce propos. C’est quand même une responsabilité personnelle, on ne peut pas considérer que c’est la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire n’est pas en guerre avec le Burkina Faso, donc il faut faire attention entre ce que des hommes politiques peuvent profiter de leurs situations pour faire, et ce qui doit engager le pays tout entier.
Il est arrivé plus d’une fois que des accusés et témoins aient des échanges tendus avec vous ou refusent de vous répondre. Hervé Kam du Balai citoyen, n’est-il pas un obstacle dans l’exercice de l’avocat Hervé Kam ?
Il y a dans le monde des avocats qui sont engagés et chaque fois qu’il y a des causes qui les concernent, leur présence n’est pas bien vue. Dans le cas précis, ces personnes-là voient plus à travers Maître Kam le balai citoyen qui d’abord a contribué à les faire partir du pouvoir en 2014, qui ensuite était là pour faire échouer leur putsch. Se retrouver encore dans le procès et le voir participer à leur condamnation, ils estiment que c’est trop. En plus, je pense qu’à travers un certain nombre de choses elles savent que le balai citoyen et Me Hervé Kam ont des informations très pointues sur leurs responsabilités.
Ils considèrent que c’est un procès politique, et comme un des mouvements les plus importants a son porte-parole dans le box des avocats de la partie civile, ils pensent régler leurs problèmes, mais d’une très mauvaise manière.