Antoinette Koukougnon, ancienne journaliste ivoirienne, aujourd’hui femme politique et présidente du CCJD, Conseil pour la cohésion, la justice et le développement, parti de gauche, exprime sa grande inquiétude face à la détérioration des bases fondatrices de la Côte d’Ivoire.
Antoinette Koukougnon craint des clachs dans les alliances politiques
INTERVIEW
Quelles sont, selon votre analyse scientifique et politique, les forces et faiblesses de l’opposition en Côte d’Ivoire, à un an de la présidentielle ?
Avant toute chose, je tiens à vous remercier pour l’opportunité qui m’a été offerte par Afrique-sur7.fr afin de me prononcer sur la situation politique en Côte d’Ivoire. Alors, nos prises de position sont étroitement liées à notre conviction politique du Centre gauche, pour continuer à travailler au bien-être des populations ivoiriennes. La vie politique en Côte d’Ivoire est devenue trop blafarde. Le jeu auquel nous sommes soumis présente deux catégories de politiciens : celle des politiciens qui veulent se positionner et devenir rapidement riches au détriment des Ivoiriens, dans des compromissions indescriptibles et de corruption avancée. Et l’autre travaillant, sans relâche à l’affirmation de l’État de droit, à la consolidation des acquis démocratiques et la protection des droits du peuple de Côte d’Ivoire, sur le chemin de la paix.
Pour nous, la lutte visant l’intégration complète des Ivoiriens dans la gestion des affaires de notre Nation, reste le fondement de notre orientation politique. Maintenant, la faiblesse de l’opposition se trouve dans la bataille du positionnement en interne. Il lui faut juste choisir un leader pour porter, avec lui, la Conscience de la cohésion de notre Nation, en vue de réorienter l’action politique vers le développement humain. Je redoute un clash au sein des différentes plateformes politiques de l’opposition à quelques semaines de la présidentielle de 2020. Mon propos est expérimenté. Voyez-vous, la vie politique en Côte d’Ivoire se résume à « Diversion – Division – Dispersion ». L’opposition ivoirienne comprend-elle cette tactique ? J’en doute fort.
Pensez-vous que l’opposition puisse constituer un véritable contre-pouvoir et débouter démocratiquement Alassane Ouattara ?
Cela se peut. La politique est faite de stratégies et de tactiques. Les anciens le savent bien. Je n’en dirai pas plus.
Mme Antoinette Koukougnon, face aux nombreux soucis des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, comment doivent réagir l’opposition et les populations ?
Écoutez, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une Constitution qui guide l’action républicaine et gouvernementale. Elle assure à chacun de nous une panoplie de droits et devoirs. Que nous dit-elle relativement aux droits humains ? La Constitution assure à chacun la Liberté. Dès lors, chacun de nous doit savoir la lire et en user, collectivement ou individuellement, pour connaître son rôle et sa place dans la République de Côte d’Ivoire. Toutefois, le CCJD invite le Chef de l’État ivoirien à exiger du gouvernement un audit certifié de la Nation ivoirienne qui se meurt. C’est très important.
Que propose votre parti pour de bonnes élections en 2020?
Alors, pour des élections transparentes et crédibles, nous suggérons avant toute chose, la prise de conscience collective des acteurs du jeu politique des enjeux électoraux et des valeurs démocratiques minimales, en toute responsabilité. Ensuite, il faudra opérer une restructuration organique, fonctionnelle profonde de l’organe en charge des élections dans notre pays. Et enfin, revisiter tous les textes du code électoral avec tout son processus pour nous garantir un environnement post-élection tranquille.
Reconnaissez-vous dans une alliance politique en Côte d’Ivoire ? Si oui, laquelle ? Quelles en sont les raisons ? Sinon, justifiez votre réponse !
Idéologiquement parlant, le CCJD, parti écologiste, est de la Gauche. Pour l’instant, nous n’appartenons pas à une quelconque plateforme. Tout simplement parce que notre engagement nous pousse à agir parcimonieusement. L’heure viendra où nous préciserons notre position.
Votre avis sur la naissance du Rhdp? Peut-il apporter la paix en Côte d’Ivoire, comme le soutiennent ses dirigeants, dont le Président de la République?
La RHDP? C’est une entité politique qui a des capacités à ne pas négliger. Toutefois, il ne peut, à lui tout seul, penser la Côte d’Ivoire et y apporter la paix durablement. C’est très clair pour nous. C’est pourquoi il a besoin absolument des autres forces vives pour relever le défi de la paix.
Mme Antoinette Koukougnon, quelles propositions faites-vous pour la cohésion sociale et une bonne réconciliation en Côte d’Ivoire?
La réconciliation ? Oui. La cohésion sociale ? Absolument. La réconciliation conduit indubitablement à la cohésion sociale. Et cela doit se faire sur les questions qui fâchent les populations ivoiriennes, sans faux-fuyant. Nous devons en établir les termes de référence et faire une mise en l’état. D’ailleurs, le rapport de l’ex-CDVR (Commission dialogue, vérité et réconciliation, NDLR) expose largement les causes profondes des successives crises survenues dans le pays. Ces crises ont leurs origines dans les questions du foncier, de la nationalité et de la vie politique.Il nous appartient de faire une rétrospection de l’histoire globale de notre pays.
La crise post-élection de 2010 en est un pan. Nous parlons de réconciliation et de cohésion pour une paix durable, parce que toute réconciliation fiable passe toujours par la présentation des faits. La cohésion sociale en Côte d’Ivoire passe par la réconciliation, qui elle-même passe d’abord par la reconnaissance des faits, individuellement ou collectivement, ensuite la restitution des biens meubles et immeubles spoliés. Toute chose qui rassurera les victimes en vue de la justice transitionnelle. Et ce processus débouchera sur une amnistie globale pour tous les Ivoiriens. C’est cela notre position. Jusque-là rien de tout ça n’a été fait.
Pensez-vous à une stratégie de règlement de la crise dans le secteur éducatif ?
Le système éducatif ivoirien est vu comme l’un des moins performants au monde par certaines institutions internationales. Calqué sur le système canadien, il ne peut prospérer, sans une adaptation aux réalités, aux traditions ivoiriennes, alors qu’il reçoit des soutiens financiers des pays amis. Le Canada, lui, selon ses normes propres. L’absence d’un schéma viable et fiable sur le moyen et long terme, plonge les étudiants et élèves dans toutes sortes d’addiction.
Le gouvernement ivoirien, le ministère en charge de cette question, n’en sont guère émus. Nos enfants ont perdu de vue les notions fondatrices de notre Nation. C’est très grave pour la société ivoirienne dans toutes ses sensibilités.
C’est tout ça que notre parti, le CCJD, abordant la thématique de l’éducation scolaire, lors de son Congrès ordinaire en décembre 2018, a soutenu que pour rebooster le système éducatif, le gouvernement doit y injecter 40 % du budget de l’État, en vue d’assurer une bonne relève. Cela exige le paiement de tous les arriérés de salaires du personnel enseignant, la résolution du nombre pléthorique dans les salles de classe, l’augmentation des infrastructures scolaires et leur équipement.
Mme Antoinette Koukougnon, quel est votre opinion sur Guillaume Soro, président démissionnaire du parlement ivoirien? Peut-il être vraiment « l’antidote » de M. Ouattara, comme certaines personnes se plaisent à le présenter?
Sur cette question, il est bon de retenir une chose. De par ma culture et mon éducation, j’ai appris à proscrire les préjugés sur les hommes. Je suis un peu factuelle. Je ne connais pas l’homme. Par conséquent, je ne peux me prononcer. Ce que je vais dire pourrait être infondé. Je n’ai pas eu l’opportunité d’échanger avec lui, donc je ne voudrais pas me hasarder à émettre une opinion. Idem pour toutes les autres personnalités.
Mais Alassane Ouattara et Guillaume Soro ont évolué dans le même paradigme politique et intentionnel, depuis de longues années, ils se connaissent très bien. L’un peut vouloir utiliser les faiblesses de l’autre en cas de conflit réel, et ce ne serait que de bonne guerre. Cependant, je crois que chaque Ivoirien doit être sérieusement « l’antidote » d’Alassane Ouattara, et le neutraliser démocratiquement à la présidentielle de 2020.