Au moment où les débats sur le franc CFA cristallisent toutes les passions et alors que les écoles restent fermées depuis un mois en Côte d’Ivoire, la formation et l’éducation nationale devraient aussi capter l’attention de l’ensemble de l’opinion ivoirienne. En Côte d’Ivoire, notre système éducatif, tout aussi en crise que notre société, devrait passer par une série de réformes inspirées de modèles qui fonctionnent ailleurs. Notre système éducatif sombre alors qu’au Ghana voisin, l’école est gratuite du primaire au collège. Quelle est la recette? Dans l’optique d’ouvrir le débat sur l’école ivoirienne, notre rédaction a visité des modèles aussi pertinents que risqués, au regard des objectifs du millénaire, dont l’éducation reste une des priorités.
La Côte d’Ivoire et les résolutions du Forum mondial sur l’éducation
En 2000 à Dakar, lors du forum mondial sur l’éducation, 164 pays adoptent le programme ÉDUCATION POUR TOUS. Une liste ambitieuse de 6 objectifs visant à améliorer l’accès à l’éducation d’ici à 2015. La même année à New York, 193 pays membres de l’ONU signent « la déclaration du Millénaire » avec 8 objectifs affichés également pour 2015 afin de préserver le développement mondial. L’accès à l’éducation apparait en seconde position de ces 8 objectifs. Priorité planétaire ma foi !
L’intention est vertueuse, mais jusqu’en 2015 le résultat n’était pas au rendez-vous. En 2012 Il restait encore 121 000 0000 enfants non scolarisés, mais surtout les inégalités se creusent ; les enfants les plus pauvres ont 4 fois moins de chance d’aller à l’école que les plus riches. Alors, certains économistes préconisent une solution plus radicale : privatiser le système éducatif. Belle trouvaille capitaliste qui existait chez nous depuis pas mal d’années déjà. Souvenons-nous de la réforme de l’éducation nationale préconisée en Côte d’Ivoire par le ministre Pierre Kipré en 1993 et fiancé par la Banque mondiale. Car plus de concurrence signifierait plus de motivation pour mieux enseigner nos enfants. C’est connu !
Selon la société financière internationale, où Monsieur Thierry Tanoh, ex-ministre de l’Énergie en Côte d’Ivoire, avait en qualité d’économiste et expert-comptable ivoirien occupé le poste de Vice-président pour Afrique subsaharienne, l’Amérique latine et Caraïbes, et Europe de l’Ouest, estime que le secteur privé de l’éducation représenterait 380 milliards d’euros. De quoi susciter des vocations !
Des modèles a impacts variables
Le modèle proposé par l’entreprise anglaise PEARSON, leader mondiale du secteur, lui a rapporté en termes de chiffre d’Affaires en 2014, 6,9 milliards d’euros dont 61% en Amérique du Nord. L’offre Pearson prend en charge la fourniture des manuels scolaires, la formation des professeurs, et l’évaluation des élèves. Le groupe britannique a même mis en place une offre pour les pays en voie de développement grâce à sa filiale Bridge International Academies. Présentes en inde, au Ghana et au Kenya, les écoles sont livrées en kits. Les Plans des Bâtiments aux manuels scolaires et les cours sont dispensés par des professeurs formés en 5 semaines. Au Ghana par exemple, les cours sont facturés à la journée et les paiements sont contrôlés par un bracelet électronique porté par chaque élève. Si la facture n’est pas réglée jusqu’au 5 du mois, c’est l’expulsion. Apprentissage brutal de la comptabilité !
Au lendemain de l’ouragan Katrina, la nouvelle Orléans est devenue le laboratoire de l’enseignement privé. En moins de 10 ans, 84 des 89 établissements scolaires sinistrés ont été réhabilités sous forme d’établissements privés : Les CHARTERS SCHOOLS.
Alors qu’avant la catastrophe, plus de 65% des écoles étaient sous les standards d’éducation nationaux, aujourd’hui elles ne sont plus que 6%. Mais il faut noter que l’excellence a un coût. Certains établissements excluent plus de 50% de leurs élèves. Quant à l’égalité de l’accès à l’enseignement, elle n’est plus au programme ; les écoliers noirs ont 69% de chance en plus de se retrouver dans les établissements les plus pauvres
Quant à la Suède, au milieu des années 1990 elle créait les FRISKOLS payés par les impôts et gérés par des entreprises privées. Ces écoles gratuites ont vite attiré des fonds de pension et des entreprises. En 2013 elles auraient dégagé 2,5 Milliards d’Euros de bénéfice en encaissant les chèques éducatifs distribués par l’état. Une belle réussite, sauf quand les cancres font plonger toute la classe !
En 2013 la société danoise John Bauer, propriétaire de 31 écoles, fait faillite en laissant sur le carreau 11 000 élèves et 1000 professeurs. L’autre inconvénient de ce système est que quand les élèves sont moins nombreux, la rentabilité vacille. Alors il faut faire des coupes dans les ressources et moyens pédagogiques comme ce fut le cas pour le modèle suédois en 2008.
L’École, une question de droits et de management
Faire de l’école un bien privé, c’est la rendre aussi vulnérable aux mêmes crises économiques que n’importe quelle entreprise. À ce détail près que les produits vendus par ces écoles font partie des socles de nos démocraties, comme l’accès au savoir et l’apprentissage de la vie en société. Des biens communs en somme !
Déjà que nos gouvernements ont du mal à structurer nos économies, il est plus qu’urgent de procéder à l’innovation de notre système à la lumière des modèles qui fonctionnent dans le monde et tenant compte de nos objectifs d’industrialisation et de modernisation de nos pays, dans une perspective d’accès équitable de tous à l’éducation et à la formation. L’état de Côte d’Ivoire devrait mettre sous la bannière républicaine tout le système éducatif et dynamiser sa gestion par un modèle de management moderne cohérent. Les ministères de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle et de la Recherche scientifique n’auront en charge que le management des contenus de l’éducation et des formations. Cela permettrait de remonter la pente d’un classement peu honorable pour notre pays. 44e sur 75 pays de l’espace francophone.
NELSON ZIMIN