Me Jean-Serge Gbougnon, avocat ivoirien, membre de l’équipe de défense du ministre Charles Blé Goudé dans son procès contre la CPI, a accordé une interview exclusive à afrique-sur7.fr. Lors de cette rencontre dans nos locaux, l’ancien conseiller du Président Laurent Gbagbo a fait le tour de l’actualité des détenus africains les plus célèbres du moment.
Bonjour Me Jean-Serge Gbougnon. Vous représentez Charles Blé Goudé à la CPI. Pouvez-vous évoquer avec nous votre parcours pour nos lecteurs ?
Bonjour, mon parcours est tout à fait classique. J’ai d’abord fait le collège à Agboville puis le Lycée Classique d’Abidjan où j’ai obtenu mon bac. Ensuite, j’ai été à l’université de Cocody où j’ai eu ma maîtrise en droit. Après, j’ai fait le CAPA (Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat). J’ai finalement prêté serment en juillet 2001 et depuis lors, je suis avocat au barreau d’Abidjan.
Me Gbougnon, comment avez-vous intégré l’équipe de défense du ministre Charles Blé Goudé ?
En mai 2011, je suis conseiller du Président Laurent Gbagbo. En 2014, lorsque le ministre Charles Blé Goudé est arrêté, qui au passage était mon ami parce qu’on se connait depuis la cité universitaire de Yopougon et le lycée classique, et est enlevé au Ghana pour la Côte d’Ivoire et que les juges d’instruction sont saisis à Abidjan, je fais d’abord partie de son équipe de défense. Il s’est mis en place un collectif que nous avions créé. J’y suis jusqu’à son transfert à La Haye.
Lors de la première partie de son procès à la CPI, devant la chambre préliminaire, je ne fais pas partie de sa défense. Le système était organisé de sorte que tous les membres du collectif ne pouvaient pas en faire partir. Dont il choisit Me N’Dri Claver qui était déjà son avocat depuis 2004. Il entre dans l’équipe de défense en phase préliminaire du procès. C’est après cette phase que Charles me sollicite pour intégrer son équipe de défense. C’est comme cela que je commence ma mission à ses côtés en 2015.
N’avez-vous pas craint au moment d’accepter de défendre votre client au regard des passions qui entourent ce dossier ?
J’avais déjà accepté de le défendre en 2011 en faisant des déplacements à Korhogo. Je n’avais pas eu peur à cette époque-là déjà. Je pense qu’en 2014 il n’y avait plus grande chose à redouter. Dans tous les cas, par principe, je ne vois pas pourquoi j’aurais eu peur. C’est mon travail et donc j’estime que je n’ai pas à avoir peur de quoi que ce soit. Je viens défendre des gens qui le méritent donc non. Cela dit, en 2011, j’y ai pensé un peu, mais seulement pour ma famille.
Depuis, avez-vous subi des représailles, même au niveau professionnel avec la perte de clients par exemple ou de certaines personnes dans la population hostiles à votre client ?
Je n’ai honnêtement jamais eu un seul problème avec personne dans la population. Il y a peut-être eu des complications au niveau professionnel du fait de ma présence constante ici en Europe. C’est difficile de gérer un cabinet comme les nôtres à distance, surtout lorsqu’on n’a pas d’associés. Nous sommes plus souvent ici en Europe depuis pratiquement 2015, donc ce n’est pas simple. Autrement, je n’ai jamais eu de soucis avec personne.
Nous sommes à une étape décisive du procès. Quel est votre état d’esprit ?
Je dis souvent aux gens qu’en tant qu’avocat, et par rapport au travail qu’on a fait jusqu’ici, je suis assez serein. En tout état de cause, ce à quoi nous sommes soumis ce sont des décisions prises par des personnes autres que moi. Ce sont les juges avec les règles de droit. Donc malgré ma sérénité, j’attends toujours ce qui va être décidé avant de faire des commentaires. Nous avons plaidé, on a fait notre travail en âme et conscience, mais il faut toujours attendre la décision de ceux qui décident avant de faire des commentaires. Sinon je suis confiant, surtout parce qu’on a bien travaillé.
Me Gbougnon, croyez-vous en une prochaine liberté provisoire de votre client ?
Si je n’y crois pas, je le laisse à La Haye. Ça, c’est un. Mais plus sérieusement, ce qui se passe en réalité, c’est que nous ne sommes pas demandeurs d’une liberté provisoire. C’est la chambre qui nous demande de venir présenter nos moyens sur une éventuelle mise en liberté provisoire de nos clients. C’est la chambre qui nous invite à le faire. Cela s’est fait à la majorité de 2 juges sur trois qui nous invitent à venir demander la liberté provisoire.
C’est eux qui nous disent « venez nous dire est-ce que depuis lors, certaines conditions n’ont pas changé ? Venez plaider en nous proposant vos conditions, etc. ». À l’origine, nous ne sommes pas demandeurs. C’est comme cela que nous allons plaider. Et maintenant on attend le résultat. J’ai envie d’ajouter qu’il y a de bonnes raisons d’y croire.
Vous avez exigé une relaxe de votre client. Croyez-vous cela possible ?
C’est vrai que c’est une procédure qui n’existe pas dans nos procédures habituelles. Nous avons demandé l’acquittement. Nous estimons qu’à ce stade où nous sommes arrivés, le procureur n’a pas apporté assez d’éléments pour que le procès continue. Ce que les gens doivent savoir, c’est que ce sera soit l’acquittement, soit la poursuite du procès. Parce que le procureur a présenté son cas. Si nous n’adoptions pas cette procédure-là, nous aurions dû présenter un autre cas qui suppose que nous amenions des témoins, etc.
Nous, on estime à mi-parcours que même avec le dossier du procureur, on ne peut pas condamner des gens. C’est donc pour cela qu’après l’autorisation des juges, en juillet passé, nous avons plaidé en octobre dernier. On estime qu’après deux ans d’écoute des témoins du procureur, nos clients doivent rentrer chez eux.
Si la CPI ne suit pas votre avis, si vos clients ne sont pas acquittés, qu’est-ce qui se passe ?
On continue le procès !
Ce qui voudrait dire que vous allez appeler des témoins, fournir des preuves de leur innocence pour contredire le procureur ?
Oui ! Depuis le début nous disons que nos clients sont innocents, donc ce sera certainement pour démontrer qu’ils le sont. J’espère qu’on en arrivera pas là. J’espère qu’on n’aura pas à présenter notre cas. J’espère qu’on aura une décision d’acquittement. J’y crois. En novembre vous avez vu tout ce qui s’est passé. Je crois qu’il y a de bonnes raisons de croire qu’ils vont être acquittés.
L’information de leur libération provisoire a fait le tour de la toile. Nous en avons tous parlé et Mme Gbagbo l’a même carrément célébré. Peut-on reléguer cette information à une simple rumeur ?
Généralement je n’aime pas parler des gens. Je suis avocat dans un dossier. À l’heure où je vous parle, le ministre Charles Blé Goudé est en prison. Il n’y a aucune décision de rendue. Les juges n’ont rendu aucune décision.
Ils la rendront quand cette décision sur la libération provisoire ?
Probablement après les vacances parce que la cour est encore en congé. Ils ne reprennent que le 7 janvier 2019. C’est probablement après cette date-là que nous aurons une décision. Mi-janvier, jusqu’à fin janvier, on aura une décision.
Me Gbougnon, dans quel état d’esprit est votre client par rapport à cette rumeur ? Elle aurait pu lui causer du tort s’il y avait eu des débordements ?
Nous attendons sereinement la décision, pour le reste, nous disons plutôt que la rumeur démontre que les gens sont en attente. A part ça, nous attendons la décision. Les rumeurs qui circulent, ce que vous devez savoir est que Charles Blé Goudé est en prison. Il n’y a pas une décision, jusqu’à preuve du contraire, qui ait été rendue. Pour le reste on ne va pas faire de polémique sur qui a fait courir la rumeur.
Comment Charles Blé Goudé se sent-il en prison ? Est-il toujours dans la posture du résistant prêt à aller au bout ? Que ferait-il si le procès devait être encore plus long ?
Il est en prison. Le principe c’est celui-là. Il est en prison. On n’est jamais à l’aise quand on est en prison. Certains diront que ce n’est pas la MACA, certes, mais il est en prison. Maintenant quand on est conscient de son aura, de ces choses qui nous guident, on est fort. Il a ses convictions, donc il est fort. Il ne doute pas. Je pense que si le procès devait continuer, il y est prêt. Nous sommes prêts à faire face à toutes les éventualités.
À la diffusion de la rumeur de leur libération, il semblerait que certaines personnes aient proféré des menaces sur les réseaux sociaux et dans les rues contre les adversaires de vos clients. Si c’était avéré, cela pourrait-il porter préjudice à vos clients ?
On n’en a pas parlé. Je n’ai même par regardé. Ce vendredi-là j’étais moi-même à La Haye. J’ai dû faire le voyage à Paris. J’étais tellement débordé que la seule vidéo que j’ai vue, c’est celle de Mme Gbagbo. Après je me suis interdit de voir toute autre chose parce que c’est déjà bien difficile pour nous d’être dans ce dossier avec tout le travail que nous avons à faire. Je ne m’intéresse pas beaucoup à ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Il y a tellement de rumeurs là-bas. En même temps je comprends les gens. Mais nous n’en avons pas vraiment parlé de ces histoires de qui a dit quoi ou menacé qui.
Notre client a des collaborateurs politiques avec qui il gère ce type de dossier. Ce n’est pas vraiment dans mes prérogatives donc je ne m’attarde pas trop là-dessus.
Me Gbougnon, ce procès vous a quand même propulsé au-devant de l’actualité judiciaire ces dernières années. Il a fait de vos collègues et vous des avocats réputés. Est-ce que cela vous dégage déjà des perspectives intéressantes sur le plan professionnel ?
Des lendemains meilleurs ? Je l’espère ! C’est mon souhait! Mais déjà professionnellement, ce procès nous apporte beaucoup sur le plan de la rigueur. Il y a beaucoup de boulot à faire avec des milliers d’archives à consulter. Ça t’apprend à être rigoureux. Pour le reste, déjà il faut que nos clients soient acquittés. C’est vrai qu’aujourd’hui des gens nous reconnaissent dans les rues de Paris à Abidjan, les gens nous félicitent, c’est bien. Mais je pense qu’il faut que nos clients soient libérés, on en sera que plus grandit et les choses suivront forcement. Il faut juste qu’on soit au top professionnellement.
C’était le mot de la fin. Merci, Me Jean Serge Gbougnon.
Merci à vous !
Une interview de Me Jean-Serge Gbougnon (avocat de Charles Blé Goudé), par Gary SOGNON pour www.afrique-sur7.fr. *Sauf autorisation de afrique-sur7.fr, la reprise de cette interview de Me Gbougnon est interdite. Tout contrevenant à cette indication s’expose à des poursuites.