Cuno Tarfusser a pris cette habitude de prendre à contre-pied les positions de ses deux autres assesseurs. A la requête déposée par les avocats de Charles Blé Goudé pour faire une déclaration au terme de leur plaidoirie, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont opposé un refus catégorique, suite à l’objection de la procureure Fatou Bensouda. Le juge italien a cependant donné une opinion dissidente.
La déclaration du juge-président Cuno Tarfusser
Je suis en fort désaccord avec la décision de la majorité de ne pas autoriser M. Blé Goudé à prononcer une déclaration devant cette chambre. Je suis convaincu que s’adresser à son juge est un droit fondamental inaliénable pour chaque accusé. La chambre a le pouvoir de discrétion à pouvoir strictement limiter, à identifier le moment approprié et les modalités que doit suivre une telle déclaration. Et ce pouvoir ne va pas jusqu’à empêcher que cette déclaration puisse être donnée.
En d’autres termes, une fois que l’accusé a exprimé sa volonté d’exercer ce droit, les juges ne peuvent se prononcer que sur la manière dont il va le faire et à quel moment il va le faire. L’Article 67 du Statut, en ce qui concerne les droits de l’accusé, indique à la lettre H, son droit de prononcer une déclaration orale ou écrite sans prêter serment pour sa défense. Et on indique dans le chapeau, les garantis minima qui doivent être donnés à l’accusé et auquel il a droit.
L’argument de la majorité est le suivant : Le libellé de l’Article 67. 1 H dit que cette déclaration est faite pour sa défense. Ce qui limite de manière temporaire l’exercice de ce droit au stade où la défense présente ses éléments de preuve.
A mon avis, c’est une interprétation trop étroite, et par conséquent inacceptable pour moi, parce que cela va au-delà des limites temporaires. Cela limite simplement la portée d’un tel droit et le limite à l’exercice de la présentation et au respect de ce droit en ce qui concerne les charges.
Il est significatif que la ligne directrice, en ce qui concerne la menée de la procédure, a été adoptée à l’unanimité en 2015, et qu’elle a été amendée en 2016. Et cette ligne directrice déterminera le moment approprié et les modalités pour la déclaration de l’accusé. Elle n’envisage pas, et à juste titre, un scénario selon lequel la chambre pourrait empêcher l’accusé de prononcer sa déclaration. La disposition est que l’intention d’autoriser l’exercice de ce droit prévoit qu’il doit avoir une notice par opposition à une requête. Et ceci, à mon avis, confirme cette idée.
Je suis encore moins convaincu par les arguments présentés par l’accusation selon lequel la déclaration ne devrait pas être autorisée parce qu’ « une requête en insuffisance de moyens à charge est une procédure purement juridique qui doit être déterminée sur la base des éléments de preuve avancé dans le dossier des éléments de l’affaire ».
Si je laisse de côté, à ce stade la procédure en insuffisance de preuves, le texte statutaire de la Cour, je considère que c’est une formule vide, et qui ne correspond pas à ce qui ne doit pas devenir la base d’un refus du droit.
Je suis également surpris par la véhémence avec laquelle le procureur fait objection à cette déclaration. A la lumière de ses devoirs et de ses obligations de mener une enquête de manière à déterminer la vérité, le procureur, à mon avis, devrait plutôt se féliciter du fait qu’un accusé choisisse de présenter sa propre perspective des évènements. Ce qui est quand même le sujet des charges qui sont portées contre lui.
En outre, l’accusation et la majorité semblent spéculer sur le contenu supposé et la portée de cette déclaration si elle était autorisée. L’accusation, en allant aussi loin, se réfère à un article de journal qui semblerait valider la substance de ses craintes. La majorité déclare « il serait certes inapproprié pour l’accusé de présenter des arguments factuels à ce stade ».
Enfin, l’observation de l’accusation selon laquelle M. Blé Goudé aura toujours la possibilité de faire une déclaration à un stade ultérieur si sa requête aux fins d’acquittement était rejetée. Je constate que si cette requête était accordée, M. Blé Goudé aura été privé de l’un de ses droits minimums garantis, le droit de s’adresser à ses juges pour sa défense. Je considère qu’il s’agit là d’une violation d’un droit fondamental de l’accusé.