Consciemment ou pas, le Président de la Côte d’Ivoire M. Alassane Ouattara, avec la libération de Simone Gbagbo, tue les ambitions de Guillaume Soro. L’ancien chef rebelle qui préside l’Assemblée Nationale ivoirienne s’est vu arracher tous ses arguments de campagne par le Président Ouattara en seulement une soirée le 6 aout dernier. Analyse.
Soro Guillaume, le coup d’arrêt de Alassane Ouattara à ses ambitions
Le Président Alassane Ouattara devrait bien passer le tablier à la fin de son deuxième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire, mais à qui ? Sa relation qui semblait si excellente avec Guillaume Soro, un allié important dans son accession au pouvoir, s’est si fortement détériorée, dès la fin de son premier mandant, qu’il ne risque pas de lui faire la passe espérée par ce dernier.
Des mutineries d’anciens combattants rebelles qui avaient éclaté dans plusieurs villes du pays avaient forcé la main au chef de l’État dans la reconduction de Guillaume Soro à son poste à l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire. Pas besoin de préciser qu’avant ces soulèvements, l’idée de pousser l’ancien patron des Forces nouvelles hors de l’hémicycle avait été adoptée au sein du RHDP. Certains cadres du RDR qui n’ont pas digéré son coup froid au régime n’avaient ensuite pas hésité à le faire passer pour « un enfant qui trahit tous ses pères ».
Ces dernières années n’ont pas permis aux deux parties de retrouver leur complicité du passé, rendant ainsi difficile la réalisation du schéma faisant de l’ancien patron de la rébellion de 2002 le successeur d’Alassane Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire.
Cela n’empêche que dans la guerre interne au RDR, où l’idée d’un Guillaume Soro prochain président de la Côte d’Ivoire n’a jamais fait l’unanimité, c’est l’ancien secrétaire général de la FESCI qui menait aux points. Plus il était attaqué par des cadres du parti, plus étaient nombreux les militants à rejoindre son camp.
Quand les pros-Gbagbo convergeaient vers Soro Guillaume
Leur inimitié envers le Président Ouattara, considéré par eux comme étant celui qui a retourné Guillaume Soro contre leur leader Laurent Gbagbo, amenait même certains militants du FPI à envisager un soutien à Soro si le paysage politique ivoirien restait en l’état d’avant la libération de Simone Gbagbo.
Le PAN qui semblait tenir le bon bout n’a cessé, ses camarades et lui, de prôner la réconciliation entre Ivoiriens, allant jusqu’à exiger la libération de tous les prisonniers politiques. Dans le fond, ni Soro Guillaume ni ses proches ne croyaient possible la décision prise par Ouattara le 6 aout possible. C’est donc par pur calcul politique qu’ils bissaient le CD de la réconciliation qui était le seul sujet qui les rendait à peu près audibles.
Plus ces anciens rebelles chantaient la réconciliation, plus l’image du Président Ouattara au sein de l’opinion publique prenait des coups. Il passait pour l’homme qui ne veut pas de la réconciliation entre Ivoiriens et qui pour ce faire emprisonnait ses adversaires politiques.
Autant dire que le Président Ouattara n’appréciait pas beaucoup ce petit jeu et en a touché mot à Guillaume Soro plus d’une fois. Ce dernier, se croyant toujours plus malin que la vieille garde de la politique ivoirienne, n’hésitait pas à justifier le comportement de ses camarades par le fait qu’il avait perdu leur contrôle, comme pour ses anciens soldats qui s’étaient mutinés…
Soro Guillaume, le salaire du double jeu
Le « doucereux » Soro Guillaume ne les désavouera pourtant pas, un double jeu trop perceptible pour les cadres du RDR qui prennent alors la décision de pousser le président Ouattara à le « tuer » politiquement. Pas d’arrestation ou même de destitution de Guillaume Soro. L’idée de le mettre au chômage avait été avancée, mais vite ébruitée, donc aussitôt abandonnée. Et dans le fond, elle l’aurait fait passer pour une victime et cela n’aurait fait que grossir le rang de ses sympathisants.
Comme plusieurs cadres au RDR savaient que Soro Guillaume et ses proches ne croyaient eux-mêmes pas en la réconciliation qu’ils prônent, c’est à leur propre piège qu’ils seront pris. Le président Ouattara a décidé le 6 aout dernier de libérer tout le monde et d’abandonner les poursuites contre les politiciens exilés. Les soldats ne sont encore maintenus en prison que par pure question de sécurité nationale, autrement ils auraient eux aussi été libertés.
Le constat est que depuis la prise de cette ordonnance d’Amnistie par le Président Ouattara, les cartes ont été redistribuées dans la politique ivoirienne et celles tirées par certains sont mauvaises. Le PDCI qui s’était éloigné du RDR voulait s’offrir une virginité politique. Il a lui aussi commencé à réclamer la libération des prisonniers alors que son président Henri Konan Bédié s’était impliqué dans la campagne de justification de la déportation de Laurent Gbagbo à la CPI.
Le camp Soro Guillaume sonné débout
Avec cette décision de Ouattara, il est vrai qu’elle a également été encouragée par le rapport des ambassadeurs de l’Union européenne, le Camp Soro Guillaume a compris, avec l’attroupement autour de Simone Gbagbo, qu’ils avaient perdu gros. Tout le monde, médias comme citoyens, reste suspendu aux lèvres de l’ancienne Première Dame de Côte d’Ivoire dont personne ne veut manquer la réaction officielle consécutive à l’ordonnance d’Amnistie du Président Ouattara.
Sachant qu’elle cristallise encore plus l’attention, Mme Simone Gbagbo fait elle aussi durer le suspense en retardant sa déclaration. La militante de la première heure pour la démocratie en Côte d’Ivoire se fait mettre à jour de la politique ivoirienne, malgré sa capacité à interpréter ses changements, même depuis son ancien lieu de détention.
Soro Guillaume, l’annonce précipitée de sa candidature par l’UDS
Les propos de Soro Guillaume et ses amis portent désormais peu, ce qui les a amenés à changer de stratégie en proclamant à travers l’UDS la candidature du PAN à la présidentielle de 2020. Ce buzz incomplet, parce que Soro Guillaume n’a pas dit s’il était candidat, a pour objectif de les ramener au centre de l’attention.
Mais une chose est claire, les chances de Soro Guillaume de se faire élire comme président de la Côte d’Ivoire sont carrément réduites. Et le chef de l’État, bien plus futé en politique que veulent bien le reconnaitre ses adversaires, se garde encore une autre carte en réserve, celle d’accélérer la libération de Laurent Gbagbo si le phénomène Simone Gbagbo venait à être insuffisant pour contrer ses anciens alliés PDCI et Forces nouvelles.
En réalité, ce n’est pas le Président Ouattara en personne qui s’oppose à l’idée d’un Soro Guillaume Président, mais plus ses proches. Un peu comme au FPI où des cadres n’aiment pas l’idée que Blé Goudé préside un jour la Côte d’Ivoire à leur détriment.
Ce sentiment est propre à la culture politique ivoirienne où aucun leader ne fait de passe volontaire à un de ses protégés et cela date du temps d’Houphouet. Les jeunes du PDCI l’expérimentent de nouveau avec un Henri Konan Bédié qui n’a jamais clarifié son avenir politique et qui contre les ambitions les unes après les autres des jeunes cadres de son parti. Les cas KKB, Yasmina Ouegnin et même Jean-Louis Billon qui a fini par entrer dans le rang sont nombreux.