Le 25 octobre 2016, avait été publié le rapport de la CDVR par le gouvernement ivoirien. Cependant, aux yeux de plusieurs observateurs, le contenu de ce rapport serait expurgé et vidé de sa substance. Voici donc une partie authentique du rapport tel que rédigé par Charles Konan Banny.
De troublantes révélations dans le rapport de Banny (CDVR)
Nommé à la tête de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), Charles Konan Banny avait pour mission de créer les conditions d’une éradication de la violence et des violations des droits humains en vue d’aboutir à la réconciliation des Ivoiriens et des Ivoiriennes. Aussi, par un mécanisme de justice transitionnelle, l’ancien Premier ministre ivoirien et son équipe ont parcouru toutes les régions et hameaux du pays afin d’instituer un dialogue entre les populations de la Côte d’Ivoire.
Mais au terme de son mandat, le président de la CDVR n’a pas été reconduit dans sa mission et son institution a été dissoute et remplacée par la CONARIV. Cependant, le rapport par lequel il rend compte aux Ivoiriens de ce qu’il a accompli pour les réconcilier n’avait pas aussitôt été publié. D’où la suspicion que cela avait suscité.
Voici donc la troisième partie de ce rapport caché
Les informations tirées des rapports de la Zone 5 (Est).
Les rapports de la Zone 5 font apparaître trois régions comme celles qui ont abrité le plus de violations des droits humains : la région de la Mé, la région de l’Indénié-Djuablin, la région du Boukani.
La région de la Mé. Elle est mentionnée dans 14 rapports dont les sources sont : le Conseil de Sécurité de l’ONU (9 rapports) ; WANEP-CI (4 rapports) ; CNDH-CI (1 rapport).
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La région de l’Indénié-Djuablin. Elle est présente dans 6 rapports publiés par : CNDH-CI (3 rapports); le Conseil de Sécurité de l’ONU (2 rapports) ; WANEP-CI (1 rapport).
La région du Bounkani. Elle est évoquée dans un rapport produit par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
La Zone 5 (Est) est donc évoquée dans 21 rapports.
Le nombre total de victimes révélé par ces rapports s’élève ici à 62 personnes pour la période de 2002 à 2011. Ici non plus, la majorité des victimes n’a pas été identifiée.
Les auteurs sont : le détachement FRCI d’Afféry, des populations Abidji et Malinké, des FDS, des coupeurs de route.
Les informations tirées des rapports de la Zone 6 (Nord).
Les rapports de la Zone 6 font apparaître également trois régions comme celles qui ont abrité le plus de violations des droits humains : la région du Kabadougou, la région du Poro, la région du Worodougou.
La région du Poro. Elle est présente dans 12 rapports publiés par : le Conseil de Sécurité de l’ONU (8 rapports) ; Human Rights Watch (2 rapports) ; CNDH-CI (1 rapport) ; RAIDH (1 rapport).
La région du Worodougou. Elle est évoquée dans 4 rapports tous publiés par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
La région du Kabadougou. Elle est mentionnée dans 2 rapports dont la source unique est le Conseil de Sécurité de l’ONU.
La Zone 6 (Nord) est donc évoquée dans 18 rapports.
Le nombre total de victimes révélé par ces rapports s’élève ici à 219 personnes. Seules 14 de ces victimes ont été identifiées : 13 hommes et 1 enfant. Les victimes non identifiées sont au nombre de 205.
Les auteurs sont les Forces Nouvelles, des soldats rebelles (MPCI), des FDS et des coupeurs de route.
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Outre la collecte, l’organisation et l’analyse de la documentation nationale et internationale produite sur la crise ivoirienne, la CSAE s’est attachée à l’examen des documents se rapportant aux Commissions Vérité de trois pays de la sous-région ouest-africaine : le Togo, le Liberia, la Sierra-Leone.
Le “mapping“
Une exploitation méthodique des informations collectées durant la revue documentaire a permis à la CSAE de dresser un tableau analytique des violations perpétrées dans les différentes zones d’enquête.
Une telle présentation était possible, car les informations recueillies en fournissaient tous les éléments. La description des agressions permettait d’en indiquer la nature et les caractéristiques. Les noms des lieux des crimes permettaient de situer ceux-ci géographiquement. La période, qui n’a jamais été oubliée dans documentation, permettait de distinguer les crimes accidentels des crimes récurrents.
Le travail réalisé par la CSAE a pris en compte les éléments suivants :
– La région ; – Le rapport de l’organisation ; – La source de l’enquête ; – Le lieu de la violation (département ou sous-préfecture ou village) ; – La période ; – La nature et les caractéristiques de la violation ; – L’identification des victimes ; – L’identification des auteurs ; – L’échelle de gravité de la violation ; – Le niveau de preuve de la violation ; – La cause de la violation ; – L’impact de la violation sur la cohésion sociale.
Pour établir le tableau analytique, toutes les données tirées de la documentation ont été croisées. Elles ont permis à la CSAE de créer un outil essentiel pour la recherche de la Vérité : LE MAPPING.
Le mot MAPPING a des significations nombreuses. Il exprime des notions spécifiques en informatique, en marketing, en mathématiques et même en biologie. Ici, il n’est pas employé dans un autre sens que celui de la langue anglaise d’où il est tiré. Il vient du mot MAP qui signifie CARTE, et exprime la représentation, sur une carte de Côte d’Ivoire, des violations des droits humains perpétrées dans le pays pendant les différentes crises.
La cartographie des violations peut prendre plusieurs formes. On peut imaginer une série de cartes de la Côte d’Ivoire présentant, sur l’une, les lieux où il y a eu le plus de violences basées sur le genre (VBG), sur l’autre les lieux où il y a eu le plus d’affrontements entre autochtones et allogènes, sur l’autre encore les lieux où il y a eu le plus de cas de violations portant sur les enfants, sur l’autre enfin les lieux où il y a eu le plus de morts. On peut encore imaginer une carte unique de la Côte d’Ivoire sur laquelle se trouveraient consignés tous les types de crimes. L’inconvénient de cette seconde option sera évidemment d’exposer la carte
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Au risque de la surcharge. La cartographie générale des violations des droits humains peut, en tout cas, être aménagée selon les approches spécifiques de la recherche engagée.
Les violations mises en évidence dans les six zones de Côte d’Ivoire pour les besoins du MAPPING sont :
Les policiers ont usé de gaz lacrymogène, pour disperser des militants de la FESCI, dans les jardins de l’université de Cocody.
Violation du droit à la vie : Exécution extrajudiciaire pour des raisons politiques et/ou ethniques apparentes par les forces de sécurité; Exécution extrajudiciaire pour des raisons politiques et/ou ethniques apparentes par d’autres ; Autres exécutions par les forces de sécurité ; Mort durant la détention.
Violation du droit à l’intégrité physique et du droit à la sécurité de la personne. Tortures/mauvais traitements, tortures/mauvais traitements entraînant la mort, viol ou autres violations basées sur le genre, traitements cruels, inhumains et dégradants, détentions inhumaines, détentions arbitraires (extra-judiciaires, politiques, etc.) Disparitions forcées, intimidation, menaces de mort, perquisitions illégales, destruction de propriétés par les autorités pour des raisons politiques, extorsion.
Violation du droit à la propriété. Interdiction de reprendre possession de sa propriété ou ses biens, litiges fonciers ou immobiliers.
Violations du droit à la libre circulation et du droit à la résidence. Privation de passeport, de document d’identification personnel ou d’état civil, déplacements forcés de population, interdiction ou empêchement arbitraire de passage à l’intérieur du pays ou à l’extérieur.
La liste n’est pas exhaustive. Mais elle est nécessaire dans toute cartographie générale des violations des droits humains perpétrées durant la crise ivoirienne. Pour la CSAE, elle est la boussole dans l’identification des lieux où les événements se sont passés, là où, par conséquent, les investigations doivent être menées, là où doivent être organisées les auditions et les enquêtes.
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Le recrutement des agents d’audition et d’enquête
Après la revue documentaire et le “Mapping“, la CSAE a procédé au recrutement du personnel de terrain dont la CDVR a besoin pour conduire les tâches liées à la recherche de la vérité. Cette activité a été réalisée grâce à un appui de la Fondation Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), et une assistance technique du cabinet ALFORT, retenu après une sélection rigoureuse.
Du 18 au 24 décembre 2012, le cabinet ALFORT a fait paraître un appel à candidatures dans les quotidiens Fraternité Matin et Le Temps, ainsi que sur le net (jobinfo et educarriere.ci).
Cet appel a suscité 1780 réactions téléphoniques, et le cabinet ALFORT a reçu en fin de compte 2100 dossiers. Après traitement de ces dossiers, le comité de présélection du cabinet en a retenu 500, et finalement 400 candidats ont été reçus, après un ultime écrémage, pour des entretiens physiques.
Au terme du processus, 300 agents d’audition et d’enquête et 45 coordonnateurs ont été retenus. La CDVR elle-même a ajouté à ces recrues 6 superviseurs, ce qui donne une équipe de 351 personnes capables, d’après le rapport du cabinet ALFORT, de mener à bien le travail sur le terrain.
Les 6 superviseurs ont été placés à la tête de chacune des 6 zones établies par la cartographie de la CDVR.
Leur rôle est triple :
S’assurer du bon déroulement de l’ensemble des activités menées dans la zone par les coordonnateurs ;
Organiser la transmission des résultats des enquêtes vers Abidjan ;
Et, d’une manière générale, régler les questions financières et les contrats de travail des agents d’audition et d’enquête de leur zone.
Quant aux 45 coordonnateurs, ils ont été affectés dans les régions pour exercer un pouvoir hiérarchique et de proximité sur les 300 agents enquêteurs.
HIÉRARCHISATION :
Présidente de la CSAE
Superviseurs
Coordonnateurs
Agents d’audition et d’enquête
Quatre de ces six superviseurs sont des conseillers du président de la CDVR.
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La formation des coordonnateurs de région et le renforcement des capacités des superviseurs
Une fois le personnel de terrain recruté, il fallait procéder à la fois à sa formation et au renforcement de ses capacités pour s’assurer de travailler efficacement et d’atteindre effectivement les objectifs fixés. Les formations organisées par la CSAE pour initier les coordonnateurs de régions et les superviseurs de zones à leurs tâches sont au nombre de neuf : sept activités de formation ont été organisées en Côte d’Ivoire et deux missions d’échanges d’expérience ont eu lieu en Afrique du Sud.
Le premier voyage en Afrique du Sud, organisé du 16 au 21 décembre 2012 avec le concours d’ONU Femmes Côte d’Ivoire, a permis à la CSAE de renforcer sa connaissance de l’expérience de la Truth and Reconciliation Commission (TRC) sud-africaine et d’éprouver la justesse de ses vues sur les tâches que devait accomplir la CDVR.
Le second voyage, qui s’est déroulé du 12 au 18 juin 2014, s’était fixé quatre objectifs :
1. Familiariser la CDVR avec le standard de l’écoute des victimes et des agresseurs ;
2. se former aux processus d’assistance et de protection des témoins ;
3. découvrir l’impact que les médias et les organes de presse peuvent avoir sur l’audition des témoins ;
4. Apprendre le déroulement d’un bon processus de réconciliation nationale;
L’expérience acquise a permis de construire le mécanisme des audiences et des enquêtes de la Commission Auditions et Enquêtes. Après le 30 septembre 2013, le mandat de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) a été prorogé par l’Ordonnance N° 2014-32 du 03 février 2014.
Cette prorogation a permis à la Commission Spécialisée chargée des Auditions et des Enquêtes de mener sa mission à bon terme, en engageant notamment les auditions des protagonistes des violations des droits humains.
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CHAPITRE 6
LES AUDITIONS
L’audition consiste à entendre et à recueillir auprès de trois catégories de personnes (soit une victime, soit un “perpétrateur“, soit un témoin), le récit d’une violation. On appelle encore ce récit une déposition. Il doit, comme cela a été indiqué plus haut, décrire ce qui s’est passé, quand cela s’est passé, comment, pourquoi et où. Il doit dire enfin qui ont été les victimes et qui sont les auteurs.
La démarche mise au point par la CSAE préconisait que les auditions soient précédées par une campagne de sensibilisation.
La campagne de sensibilisation
La sensibilisation était nécessaire pour des raisons d’efficacité. L’expérience ivoirienne n’a prévu aucune contrepartie incitative pour les “perpétrateurs“ acceptant d’avouer. En cela, elle est différente de l’expérience sud-africaine par exemple où l’aveu des méfaits s’échangeait contre l’amnistie. Il fallait donc expliquer le sens et l’intérêt du processus, pour que les personnes visées le comprennent bien, et pour obtenir d’elles à la fois leur confiance et leur adhésion. C’était ce que la sensibilisation devait garantir.
La sensibilisation pouvait être facilitée par la présence des commissions locales. Ces structures déconcentrées, conçues pour être les relais de la CDVR à l’échelon régional, pouvaient en effet l’inclure dans leur programme d’activités. D’ailleurs « contribuer à la sensibilisation des citoyens et des communautés locales sur les différentes phases du processus », était la première des dix missions des commissions locales explicitement fixées par la CDVR.
Sur le terrain, les superviseurs et les agents d’audition et d’enquête se sont efforcés de rencontrer et d’impliquer une grande diversité de personnes.
Dans le Lôh Djiboua (Divo, Lakota, et Guitry) par exemple, en zone Ouest, l’ouverture de chaque centre d’écoute a été précédée, chaque fois, d’une mission de prospection pour informer les autorités locales, les jeunes, les femmes, de ce qui allait y être fait.
À Gagnoa, dans la région du Gôh et dans la même zone Ouest, les agents d’audition et d’enquête ont été heureux de se voir assidûment seconder, dans le travail de sensibilisation, par des membres de la société civile. La mobilisation constatée pendant les auditions – 1438 visiteurs reçus en 10 jours – est, à leurs yeux, le résultat direct de la sensibilisation effectuée.
Dans le même département de Gagnoa, ils ont étendu l’opération avec satisfaction aux localités de Ouragahio et Bayota.
Les agents d’audition et d’enquête sont allés ensuite, pendant plus de deux semaines, du 2 au 20 mai 2014, à Diégonefla, Dougbafla, Doukouya, Gnamienkouamékro, Gabia, Doka, Guépahouo et Bronda dans le département d’Oumé. Dans toutes ces localités, l’objectif était le même : rencontrer la chefferie, les responsables de jeunes, de femmes et autres leaders d’opinion. Ils ont même fait du porte à porte et parcouru les marchés et les rues avec un micro mobile. L’aide des membres de la société civile a été, là également, considérable. Grâce à eux, les équipes ont été bien accueillies et ont pu faire passer le message de la CDVR dans les meilleures conditions.
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Les agents enquêteurs ont été en contact, de manière systématique, avec trois catégories d’interlocuteurs :
1. Les autorités administratives : le préfet de région et ses collègues des départements, le conseil régional, le conseil municipal, le commandant de la légion de la gendarmerie.
2. Les chefs traditionnels et les leaders religieux : chefs de village, chefs de communautés, les prêtres, les pasteurs et les imams, le président de la communauté CEDEAO là où il en existe.
3. Les populations : chaque fois que cela était possible, des réunions ont été organisées avec les différentes communautés vivant dans les régions, pour leur exposer les objectifs de la CDVR. Les sous-préfets ont adressé des courriers aux chefs des villages placés sous leur tutelle pour aider à l’organisation des réunions.
La sensibilisation a été menée avec une attention particulière pour les femmes. L’évaluation de la phase pilote avait fait ressortir en effet un faible taux de participation des femmes aux dépositions, et une recommandation avait été faite pour que cela soit corrigé. Les autorités administratives et les chefs traditionnels sont ceux qui ont le plus contribué à la mobilisation des femmes durant la période de la prorogation des auditions. On a pu obtenir ainsi, entre le 15 août et le 15 octobre 2014, c’est-à-dire en deux mois, une participation de trois mille deux cent soixante-quinze (3275) femmes supplémentaires.
La sensibilisation n’a pas été optimale dans toutes les régions. Les agents d’audition et d’enquête eux-mêmes ont déploré parfois son caractère « sectaire » ou « partiel ». Dans la région du Cavally (Bloléquin, Toulepleu, Taï), par exemple, seules certaines ethnies ont été touchées, pas d’autres ; seules les autorités locales ont été informées, pas la population.
Les réserves de cette nature ne suffisent pas à minorer l’impact d’une tâche qui était indispensable et que les agents ont essayé d’accomplir avec conscience et rigueur. Elle a permis aux agents enquêteurs de se donner la chance d’arriver à la phase suivante, celle des auditions, avec toutes les garanties de succès.
Les auditions proprement dites
Les auditions menées par les agents d’audition et d’enquête de la CSAE ont concerné les crises sociopolitiques qui ont secoué la Côte d’Ivoire pendant les 21 années allant de 1990 à 2011.
Elles ont donné lieu à une phase pilote qui s’est déroulée pendant dix jours, du 27 février au 8 mars 2014, dans huit localités de Côte d’Ivoire :
Abidjan (Yopougon II), 2. Adzopé, 3. Agboville, 4. Bondoukou, 5. Bouaké, 6. Gagnoa, 7. Korhogo, 8. Duékoué.
Ce premier exercice visait cinq objectifs :
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1. Tester la faisabilité et la fiabilité des hypothèses de travail aussi bien que des méthodologies retenues par la CDVR ;
2. identifier les lacunes et insuffisances du mécanisme de prise de déposition et d’enquêtes ;
3. relever les écueils de la pratique sur le terrain ;
4. identifier les mesures correctives, réajuster la méthodologie adoptée et améliorer le dispositif des opérations d’audition et d’enquête ;
5. identifier certaines victimes et établir une liste des formes de réparation attendues par les victimes.
La phase pilote a été couronnée par un atelier de restitution qui s’est tenu à l’hôtel IVOTEL à Abidjan le jeudi 24 avril 2014, de 9 heures à 16 heures.
Une des décisions issues de cet atelier concernait le nombre de victimes à auditionner. Il a été fixé à un minimum de 60 000 personnes dont 14.000 femmes (23.33%), pendant une période de 90 jours, de mai à juillet 2014.
C’est seulement après cet exercice de préparation et après l’atelier de restitution du 24 avril 2014 qu’a été officiellement lancée, le même jour, la phase nationale des auditions par le président de la CDVR.
La phase nationale des auditions, logiquement étalée sur toute la surface du territoire national, a duré de la fin du mois d’avril à la fin du mois de juillet. Elle s’est déroulée exactement :
– du 28 avril au 28 mai 2014 du 29 mai au 30 juin 2014 du 1er au 31 juillet 2014.
Elle a été prorogée du 1er au 15 août 2014 en raison de l’importante demande enregistrée dans certaines localités où les files d’attente étaient encore longues à l’échéance prévue.
À la date du 10 novembre 2014, le point des personnes auditionnées faisait apparaître le nombre total de 72.483. Elles étaient constituées de 43.276 hommes (60%) et 28.024 femmes (39%). Les fiches analysées n’ont pas donné de précision sur le genre d’un effectif résiduel de 1183 personnes (2%).
Les enquêtes consécutives aux auditions
La méthodologie a prévu explicitement que l’ensemble des données recueillies par les preneurs de déposition soient soumises à vérification afin d’en contrôler l’authenticité.
Ces enquêtes n’ont pas été réalisées de manière systématique. Pourquoi ? Essentiellement pour deux raisons.
La première raison est fournie par la méthodologie elle-même. Elle n’a prévu ces enquêtes complémentaires qu’ « en cas de besoin ». On imagine en effet qu’il ne soit pas nécessaire de soumettre tous les témoignages à l’épreuve du contrôle.
La seconde raison concerne trois types de dépositions qui, par leur nature, s’excluent elles-mêmes et toutes seules de la nécessité d’une enquête complémentaire :
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Le premier type concerne les cas très nombreux où les victimes, dans leurs dépositions, se réfèrent à des « hommes en tenue », ou à « des inconnus », ou encore à « des rebelles ». La généralisation dans la désignation des “perpétrateurs“ a eu pour conséquence d’empêcher un contrôle ultérieur.
Le deuxième type de dépositions susceptibles d’échapper aux enquêtes de vérification concerne les faits créés ou grossis par la rumeur. Certaines dépositions ont par exemple fait état de « tortures massives de femmes ou d’hommes » dans le District d’Abidjan. Mais leur propre développement laissait constater que, dans cette stipulation, beaucoup avait tenu à la rumeur. Des vérifications n’étaient donc plus absolument nécessaires.
Un dernier type de dépositions s’excluant des enquêtes ultérieures concerne des violations qui ont effectivement eu lieu mais qui se situaient en dehors de la période prise en charge par les travaux de la CDVR, les années 1990-2011.
Si les enquêtes consécutives aux auditions n’ont pas été nécessaires partout, elles étaient inévitables dans certaines zones spécifiques et dans certains cas emblématiques. Il y en a eu par exemple dans la région de Duékoué, qui est une de celles où l’on a enregistré les violations les plus graves. Des agents y sont retournés pour rechercher des témoignages confirmant la réalité d’un décès, s’assurer qu’un contact a effectivement existé entre une victime et son bourreau, trouver des photos tenant lieu de preuves, etc. Dans ces cas évidemment, les résultats des investigations ont été pris en compte dans la qualification des violations concernées.
Description, caractérisation et classification des violations
4.1. Description
La description des violations, c’est l’évocation ou la représentation de ces violations par la parole ou par l’écrit. Les auditions n’ont consisté qu’en cela. Elles n’ont servi qu’à projeter, par la parole, les nombreux méfaits dont les populations ont été victimes.
Les violations que les auditions ont permis de découvrir sont notamment :
Les participants ivoiriens et libériens aux réflexions sur la sécurité transfrontalière Côte d’Ivoire Libéria
– des affrontements entre communautés ;
– des représailles exercées par de petits groupes en tenue militaire ou non, contre un domicile ou un campement ou tout un quartier. À l’occasion de ces représailles, les victimes peuvent être contraintes à boire du sang humain pour éviter d’être battues ou tuées ;
– des menaces de mort et toutes sortes d’intimidations de nature à provoquer des déplacements forcés à l’intérieur (retour à la ville natale) ou à l’extérieur (Ghana, Mali, Liberia…) ;
– des viols et des tueries ciblées ;
– des vols, extorsions de biens en nature et de numéraires ;
– des pillages et destructions de biens ;
– des enlèvements suivis de disparitions ou d’enrôlements dans la rébellion dès septembre 2002 ;
– l’usage forcé des drogues dures (cocaïne, héroïne, etc.) ;
– des prises d’otages, des bastonnades et des humiliations collectives de toute une communauté villageoise
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– atteinte à la liberté d’opinion.
Ces violations, souvent à relent tribal ou motivées par l’appartenance à une région, à une ethnie, sont apparues dans certains cas comme de véritables massacres, voire des pogroms.
Elles sont également apparues, souvent, comme simplement gratuites, c’est-à-dire motivées par la recherche du gain facile. Elles ont pu être donc le fait de simples pillards ou désœuvrés.
Enfin, il est à noter que certains des acteurs (ou) délinquants sont connus et cités, et qu’ils continuent de vaquer librement à leurs occupations.
4.2 Caractérisation et classification
La caractérisation et la classification sont deux opérations à la fois proches et distinctes. Elles sont proches dans leur démarche qui consiste, ici et là, à regrouper des violations que leur nature permet effectivement de ranger ensemble. Mais elles se distinguent dans le fait que l’une se borne à désigner ces violations d’un terme générique, alors que l’autre, allant au-delà de la perception globale, s’efforce de saisir chaque violation dans les différences et les nuances qui la définissent particulièrement.
Du point de vue de leur caractérisation, les différentes violations des droits humains mises au jour à travers les auditions peuvent être regroupées en cinq grandes catégories génériques :
I. Atteintes à la vie et à l’intégrité physique des personnes ;
II. Atteintes aux libertés civiles et politiques ;
III. Atteintes aux droits économiques, socio-culturels et patrimoniaux ;
IV. Atteintes au droit international humanitaire ;
V. Atteintes à la dignité humaine.
La classification consistera à dresser, sous chacune de ces cinq catégories d’atteintes, une liste des violations précises qui, si elles peuvent être regroupées parce qu’elles sont de la même nature, se distinguent cependant les unes des autres par des différences de degré.
Cet exercice a été fait pour chacune des trente-deux régions qui forment les six zones de la carte de la Côte d’Ivoire sur laquelle la CDVR a travaillé.
La première classification reproduite ci-dessous n’est qu’un exemple. Elle concerne 1141 violations recensées dans deux régions de la zone Centre : le District de Yamoussoukro (Attiégouakro et Yamoussoukro) et la région du Gbèkè (Bouaké, Bodokro, Sakassou, Botro, Kondobo, Béoumi).
Ces 1141 violations sont regroupées en cinq tableaux qui représentent chacune des cinq grandes catégories identifiées. Un sixième tableau est un récapitulatif montrant le poids de chacune des cinq catégories de violations dans la même région Centre.
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Analyse des faits et événements
L’analyse des faits et événements qui ont marqué les 21 années (1990-2011) de la crise ivoirienne couvertes par les travaux de la CDVR permet de faire deux grandes observations. La première concerne la période des violations. La seconde a trait à la hiérarchisation des différentes atteintes aux droits humains.
Une troisième partie de cette section sera consacrée au cas particulier des femmes et des enfants.
5.1 Les périodes des violations.
Toutes les personnes engagées dans les travaux de la CDVR pouvaient savoir, pour en avoir été témoins, que la crise ivoirienne s’était manifestée en trois grandes plages temporelles : d’abord 1990-1995-1999, ensuite 2000-2002-2004, enfin 2005-2010-2011. Les auditions ont confirmé ce découpage, les victimes ne s’étant référées qu’à ces trois grands moments. Les auditions donnent une seconde information. Elles permettent de constater que la troisième période, celle qui va de 2005 à 2011, a été la plus intense dans la commission des violations, suivie de la période 2000-2004. La période 1990-1999 a été la moins intense.
Sur les 72.483 dépositions, seules 372 se réfèrent à la tranche temporelle qui va de 1990 à 1999, soit 0,51 %. Les victimes se référant aux années 2000, 2002 et 2004 sont au nombre de 26.581, soit 36,67 %, et celles des années 2005, 2010 et 2011 forment la grande majorité : 39.683 personnes, soit 54,75 %. Les rapports d’audition n’ont pas été précis sur le temps chez 5.847 personnes, soit 8,07 %.
5.2 L’ordre d’importance des violations.
La deuxième observation touche à l’ordre d’importance des cinq catégories de violations établies grâce au travail de caractérisation. Comme on peut le voir sur le tableau n° 6, tableau récapitulatif des différents types d’infractions, il y a une hiérarchisation possible des atteintes aux droits humains. Le tableau qui a été élaboré à partir d’informations fournies par le District de Yamoussoukro et la région du Gbèkè montre que, dans ces deux régions de la zone Centre :
Ce sont les atteintes aux droits économiques et patrimoniaux qui viennent en tête des violations. Elles sont évoquées dans 880 auditions sur 1141. 2. En deuxième lieu viennent les atteintes au droit international humanitaire, évoquées 130 fois sur 1141 auditions. 3. En troisième position viennent les atteintes à l’intégrité physique et corporelle, et à la vie : 105 auditions s’y réfèrent sur 1141. 4. Viennent en 4ème lieu les traitements humiliants et dégradants portant atteinte à la dignité humaine : 20 sur 1141. 5. En 5ème et dernière position viennent les atteintes à la liberté : 6 sur 1141.
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Voici, toujours à titre d’exemple, un second tableau récapitulatif, celui des violations commises dans le District d’Abidjan.
· Ici également, ce sont les atteintes aux droits économiques qui arrivent en tête : 5303 sur 7185 violations.
· Mais en 2ème position viennent les atteintes à la vie et à l’intégrité physique de la personne humaine, qui occupaient le 3ème rang dans la zone Centre. Elles représentent 1166 violations sur 7185.
· Les atteintes à la dignité des personnes, placées en 4ème position dans le Centre, viennent en 3ème position à Abidjan : 450 sur 7185 violations.
· En 4ème position viennent les atteintes aux libertés civiles et politiques qui étaient en dernière position dans la zone Centre.
· Et enfin viennent, au 5ème rang, les atteintes au droit international humanitaire : 32 sur 7185 violations.
La prédominance des atteintes aux droits économiques et patrimoniaux s’explique généralement par la réaction qu’ont eue les populations au début des hostilités. De nombreuses populations avaient dû abandonner leurs biens ou outils de travail pour se mettre à l’abri des actes de violence. Elles avaient dû fuir leurs zones de résidence ou d’activité en laissant leurs biens ou matériels de travail à la merci de destructions, appropriations et pillages de toutes sortes.
En ce qui concerne les atteintes au droit international humanitaire, deuxième type de violations révélé par le tableau récapitulatif national, elles s’expliquent elles aussi par les mêmes raisons que dans le premier cas. La dispersion ou le déplacement forcé des populations sont les deux violations mentionnées de manière précise dans ce chapitre. Ces déplacements forcés étaient souvent dus au souci des populations de se mettre à l’abri des actes de violence et des pillages. Certaines de ces populations qui n’avaient pas pu s’échapper de leurs zones envahies ont dû payer des sommes d’argent pour traverser les check-points de fortune et sortir de ces zones.
Les atteintes à l’intégrité physique et corporelle et à la vie qui viennent en troisième position au niveau national s’expliquent par le déferlement de violence qui a caractérisé les différentes crises, notamment dans les premiers moments. Homicides volontaires, coups et blessures volontaires, tortures ont été nombreux dans les débuts des crises.
En fait, toutes les violations des droits humains retenues peuvent donner lieu à des poursuites judiciaires, tant pénales que civiles. Toutefois, les atteintes aux droits économiques et patrimoniaux étant celles que les populations auditionnées ont le plus subi, la réparation des dommages matériels et économiques est la sanction la plus sollicitée par les victimes.
Pourquoi les atteintes à la liberté ont-elles été les moins nombreuses ? Parce qu’une certaine connivence a existé parfois entre les assaillants et les populations qui n’avaient pas quitté leur espace habituel de vie. C’est en effet au sein de ces populations restées chez elles que se posait le problème des atteintes aux libertés civiques et politiques.
5.3 La question particulière des Violations basées sur le genre (VBG)
Sur les 72.483 personnes auditionnées, on compte un effectif de 28.024 femmes, soit 39 % des participants dont le genre a été dûment indiqué dans les rapports d’audition. Malgré ce pourcentage important, on a constaté une certaine réticence des femmes victimes à dénoncer
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les violations subies. Pour les impliquer véritablement dans le processus des auditions, il a fallu mettre en place, durant les deux mois de prorogation des auditions (15 août–15 octobre 2014), un dispositif spécifique qui a donné satisfaction. L’examen typologique des violations enregistrées lors des prises de dépositions fait apparaître les occurrences suivantes : homicides ; blessures graves ; disparitions ; tortures et mauvais traitements ; enlèvements et séquestrations ; déplacements forcés ; destructions de biens.
5.4. La question particulière des violences faites aux enfants
La Commission a entendu 757 enfants. La majorité était de sexe masculin (54,7 %) et d’un un âge compris entre 7 et 18 ans (92.6%). Ces enfants (78,6 %) ont déclaré qu’ils avaient été victimes de traumatismes avec des blessures physiques et des souffrances psychiques. Un bon tiers des victimes a subi des dommages à caractère social : difficultés d’accès au logement, perte des biens familiaux, difficultés d’accès à l’éducation et à la santé. Les victimes ont émis le souhait d’obtenir un soutien à la scolarité et un suivi psychologique pour elles-mêmes, ainsi qu’un appui économique en faveur de leurs parents qui ont tout perdu.
CONCLUSION
L’examen typologique des violations enregistrées lors des prises de dépositions fait apparaître les occurrences suivantes : homicides ; blessures graves ; disparitions ; tortures et mauvais traitements ; enlèvements et séquestrations ; déplacements forcés ; destructions de biens.
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I- Tableau des tendances
Violations Nombre de cas Rapport aux dépositions Homicide 7 486 10,32% Blessures graves 5 229 7,21% Disparition 1 995 2,75% Tortures et mauvais traitements 5 501 7,58% Enlèvement et séquestration 2 601 3,58% Déplacement forcé 35 797 49,38% Destruction de biens 45 939 63,09% Total 104 548 XXXXXX
II- Tableau des violations basées sur le genre
Violations Nombre de cas Rapport aux dépositions Viols 747 1,03% Tentative de viol 146 0,2% Esclavage sexuel 151 0.2% Avortement forcé 170 0,23% Stérilisation forcée 35 0,05% Inceste forcé 27 0,03% Mariage forcé 83 0,1% Total 1 359 1,84%
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III- Nombre de violations selon la période de l’incident
Période Nombre de cas Rapport aux dépositions 1990-1999 372 0,51% 2000-2004 26 587 36,69% 2005-2010 5 726 7,89% 2011-2013 34 018 46,87% Autre 1 748 2,41% Non-défini 4 123 5,68%
IV- Nombre de violations selon le Genre de la victime
FEMININ MASCULIN NON DEFINI Nombre de cas 28 064 43 308 1 202
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V- Nombre de violations selon le lieu de l’incident
District Région Nombre de cas NON DEFINI 10,35% 7 502 NON DEFINI 7 502 Autre … 122 NON DEFINI 122 Bas-Sassandra 5,71% 4 144 NON DEFINI 41 Gbokle 391 Nawa 1 015 San Pedro 2 697 Comoé 863 NON DEFINI 13 Indénié-Djuablin 285 Sud-Comoé 565 Denguélé 884 NON DEFINI 14 Folon 340 Kabadougou 530
District d’Abidjan 25,61%
18 566 NON DEFINI 604 District d’Abidjan 17 962
District de Yamoussoukro
645 NON DEFINI 8 District de Yamoussoukro 637
Dix-Huit Montagnes 21,94%
15 906 NON DEFINI 72 Cavally 5 358 Guemon 6 802 Tonkpi 3 674
Goh-Djiboua 3,90%
2 829 NON DEFINI 19 Goh 1 751 Loh-Djiboua 1 059 652
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Lacs
NON DEFINI 8 Bélier 246 Iffou 150 Moronou 84 N’Zi 164
Lagunes 3,5%
2 541 NON DEFINI 57 Agnéby-Tiassa 1 730 Grands Ponts 80 Mé 674
Sassandra-Marahoué 7,93%
5 753 NON DEFINI 5 Haut-Sassandra 4 367 Marahoué 1 381
Savanes
1 631 NON DEFINI 17 Bagoué 468 Poro 577 Tchologo 569
Vallée du Bandama 10,23%
7 417 NON DEFINI 58 Gbeke 5 891 Hambol 1 468
Woroba
1 540 NON DEFINI 13 Bafing 687 Béré 488 Worodougou 352
Zanzan
1 579 NON DEFINI 17 Bounkani 933 Gontougo 629
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VI- Comparaison des données recueillies
On constate que les données issues des consultations nationales, d’une part, et celles issues du ‚mapping‚, d’autre part, sont en conformité avec celles obtenues à l’issue des auditions et des enquêtes.
Données des consultations nationales
Des consultations nationales quantitatives consolidées par des consultations qualitatives ont fourni des résultats concernant la profondeur historique et la typologie des violations à prendre en considération. Ces résultats concordent avec ceux obtenus à l’issue des auditions et des enquêtes
Deux centres d’intérêt ont fourni des conclusions identiques à celles de la phase d’auditions et d’enquêtes.
– Relativement à la profondeur historique
A la question de savoir sur quelle période devaient s’étendre les investigations de la CDVR, les consultations nationales ont proposé l’intervalle compris entre 1990, date du retour au multipartisme, et 2011, date de la crise postélectorale. A l’intérieur de cette plage, les années 1999 (34,5%) et 2002 (41.5%) sont les repères historiques les plus évoqués. La première date renvoie au coup d’État militaire du général Robert Guéi, tandis que la seconde concerne la rébellion qui a entraîné la bipartition de la Côte d’Ivoire pendant une décennie.
Lorsqu’on examine les indicateurs de la phase d’auditions, les années 1990 à 2005 sont mises en exergue avec un pic en 2002-2004 correspondant au début de la rébellion et à l’intensification des affrontements militaires. En ce qui concerne 2011, date de la crise postélectorale, elle est évoquée par 46,87% des dépositions alors qu’elle n’est mentionnée que par 10,9% des réponses des consultations nationales.
– Relativement à la typologie des violations
Les consultations nationales ont mis l’accent sur quatre types de violations : les atteintes à la vie (96%) ; les atteintes aux droits socioéconomiques (80,2%) ; les atteintes à l’intégrité physique (73,3%) ; les atteintes aux libertés individuelles et collectives (42,6%).
Ces axes sont confirmés par les résultats des auditions dont les dépositions indexent les destructions de biens pour 63,09% et les déplacements forcés pour 49,38%. Par ailleurs, avec 7486 homicides, 1995 cas de disparitions, 5229 cas de blessures graves et 5466 cas de tortures et mauvais traitement, les atteintes à la vie et à l’intégrité physique totalisent 20176 violations, soit 27.84% de l’ensemble.
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Données du “Mapping“ des violations Une compilation des rapports établis par diverses organisations de défense5 et promotion des droits humains, a permis d’élaborer une cartographie ou « mapping », des violations survenues sur l’ensemble sur territoire national. Le mapping révèle une concentration des violations dans le périmètre du District d’Abidjan, dans l’ouest montagneux et dans la vallée du Bandama.
Ces tendances sont confirmées par la répartition géographique des données recueillies pendant les auditions : 25.61% dans le District d’Abidjan, 21,94% pour la zone des 18 Montagnes et 10,23% pour la vallée du Bandama.
VII- Analyse et interprétation
L’interprétation des données recueillies fournit une ‚histoire‚ des violations de droits de l’homme en Côte d’Ivoire au cours de la période 1990-2011. Cette ‚histoire‚ commence en 1990 avec les événements liés au rétablissement du multipartisme et s’attarde sur les crises suivantes : – Le coup d’État de décembre 1999 ; – la rébellion de septembre 2002 et les affrontements consécutifs jusqu’en 2004 ; – la crise postélectorale de 2011 et ses répliques.
Certaines zones géographiques sont plus particulièrement marquées par certains événements. C’est ainsi que la vallée du Bandama a payé un lourd tribut à la rébellion de 2002 et que le District d’Abidjan a été particulièrement éprouvé par la crise postélectorale.
L’ouest montagneux a connu un niveau de violations considérable en raison de sa contigüité avec le Liberia qui, ayant connu deux décennies de guerre civile, a fourni un grand nombre de mercenaires combattant aussi bien pour le compte de la rébellion (MPIGO) que pour le gouvernement.
Par ailleurs, la question foncière est une source récurrente de conflits dans cette région riche en terres arables, qui abrite une mosaïque de populations de toutes origines. La fragilité de la cohésion sociale dans l’ouest montagneux est le fruit d’un repli communautaire qui, instrumentalisé par les intérêts politiques, débouche sur des affrontements intercommunautaires6.
Enfin, durant la crise postélectorale, le contrôle de la zone frontalière avec le Liberia a occasionné de violents combats avec pour conséquence des mouvements de populations et la naissance de camps de réfugiés7. Ces camps étaient des cibles faciles pour les combattants des deux tendances et des délinquants divers. De même, le repli des mercenaires libériens par la ville de Tabou en mai 2011 a entraîné des exactions et des violences de toutes formes. 5 Human rights watch; Amnesty international ; International Rescue Committee, etc. 6 Cf Duékoué Carrefour 7 Camp de Nahibly
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Les audiences publiques
Les audiences publiques constituent la phase opérationnelle la plus visible et la plus spectaculaire du travail de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. C’est la raison pour laquelle l’opinion publique l’attendait avec impatience.
En réalité, comme pour un procès en justice pénale, la phase des audiences vient clore les enquêtes minutieuses effectuées au préalable sur le terrain en vue de déterminer les responsabilités et les préjudices subis.
Les audiences publiques représentent l’aspect cathartique du processus. Au cours de ces séances, les “perpétrateurs“ et leurs victimes se retrouvent dans le même espace et répondent aux questions du juge-arbitre qu’est la CDVR.
La théâtralisation de cette étape participe à la réparation psychologique des violations puisqu’en se racontant et en écoutant la parole des auteurs, la victime est apaisée. Elle met un visage sur l’auteur du crime qui l’a brisée et évacue son angoisse et ses frustrations.
Aux procédures usuelles, la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation a décidé de substituer un triangle dialogique : auteur-victime-CDVR. Il s’agit de trois instances du dialogue avec pour protagonistes la victime et l’auteur de ses malheurs, et pour agent rythmique ou accoucheur de parole la Commission.
Dans cette phase, la parole et l’explication comptent plus que les faits, puisque ces derniers ont de toute façon déjà été établis par les enquêtes. Les audiences publiques préparent à la restauration de la coexistence entre victime et bourreau, car c’est là que s’amorce le dialogue entre eux.
À l’issue du dialogue des audiences, la Commission peut obtenir des protagonistes qu’ils fassent la paix si le “perpétrateur“ a reconnu sa faute et exprimé des regrets. Le pardon est la conséquence logique de cette entente. Cela dit, la personne qui a subi des préjudices ne peut consentir à pardonner que si les torts font l’objet de réparations appropriées.
6.1. Sélection des événements à inscrire au rôle des audiences : objectifs assignés aux audiences de la CDVR
Les audiences publiques de la CDVR sont l’aboutissement de l’audition des victimes, témoins et auteurs, ainsi que des enquêtes consécutives. Les objectifs qu’elles poursuivent sont les suivants : contribuer à la recherche de la vérité ; reconnaître la dignité des victimes ; réparer symboliquement les préjudices subis ; produire un effet cathartique ; contribuer à l’éducation du public.
Les audiences publiques auxquelles sont assignés les objectifs ci-dessus, sont consacrées aux cas emblématiques. Est dit emblématique, tout cas jugé représentatif d’un ensemble plus vaste, déterminé suivant différents axes de classification.
Seront proposés comme cas emblématiques, des faits caractérisés par la gravité des violations commises, des faits qui ont choqué la conscience nationale, des faits qui ont
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occasionné de grandes souffrances humaines par leur brutalité et leurs conséquences. Il en va ainsi des exécutions arbitraires, des actes de torture, des violences sexuelles. (Les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, bien que constituant des violations graves des droits humains, n’entreront pas dans notre corpus de cas emblématiques, car ils relèvent de la justice internationale).
6.2. Critères de détermination des cas emblématiques
6.2.1. Le premier paramètre de classification repose sur une typologie des audiences
On distingue les audiences individuelles qui concernent les violations graves des droits des personnes, les audiences thématiques qui visent des problèmes graves ayant eu de sérieuses répercussions sur des personnes ou des communautés (question agricole et foncière, personnes vulnérables, incidence de la gestion de l’économie sur la paupérisation, etc.) ou une catégorie particulière de populations (exilés, femmes, etc.) et les audiences institutionnelles qui s’occupent des violations liées à l’exercice de l’autorité institutionnelle ( armée, police, administration, politiques).
Les audiences publiques ont commencé avec les audiences individuelles qui occupent la plus grande partie de cette étape des activités opérationnelles de la CDVR. Elles devaient se poursuivre avec les audiences thématiques et s’achever avec les audiences institutionnelles.
6.2.2. Le second paramètre renvoie à une typologie des violations
Les violations ont été classées par rapport aux trois axes suivants : types de victimes, types de “perpétrateurs“ et types de violations.
6.2.3. Le troisième paramètre est géo-chronologique et humain
Conformément à cette exigence géo-chronologique et humaine, la sélection des cas a respecté une répartition juste et équitable entre les régions, les groupes humains, les périodes et les types de violation.
En passant le corpus des dépositions recueillies au crible de ces trois axes de classification, la CDVR est parvenue à inscrire au rôle des audiences les violations les plus représentatives de la période de référence.
6.3 Le déroulement des audiences
Même si les audiences publiques de la CDVR ne s’entendent pas comme un procès au sens judiciaire du terme, elles organiseront la circulation de la parole avec la même rigueur que lors d’un procès. Elles respecteront toutefois le scenario adopté par l’Assemblée plénière.
Le déroulement des audiences est assujetti à des règles de procédure appliquées au comportement des acteurs, au rôle des commissaires présents, au nombre de commissaires requis pour chaque audience, à la possibilité d’audiences privées.
Le lieu où se dérouleront les audiences publiques doit être un espace monumental, car le cérémonial des audiences doit être empreint de solennité. L’espace dispose d’une estrade, qui est la scène, et autorise divers aménagements, notamment la construction de praticables amovibles. Il se plie à la réalisation de toutes les exigences.
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6.4 Les faits évoqués par les audiences
Les auditions ont mis au jour de très nombreux cas de violations emblématiques dont certains ont été proposés aux audiences suivant la procédure décrite ci-dessus. Du 8 au 30 septembre 2014, 81 cas, ont été présentés aux audiences publiques de la CDVR.
Ces cas emblématiques renvoient à des événements survenus entre 1999 et 2012 sur lesquels la documentation est abondante et largement concordante. Plutôt que de relater la totalité des cas individuels, il est plus utile de décrire les violations survenues dans des lieux reconnus, d’où ont été tirés les cas emblématiques inscrits au rôle des audiences publiques par la CDVR. Un développement est proposé au sujet de onze violations emblématiques parmi les plus graves. Elles sont équitablement réparties entre les périodes, les régions et l’obédience des présumés ‚perpétrateurs‚.
Liste des événements
Evénement période
I Le charnier de Yopougon octobre 2000
II Les Gendarmes de Bouaké octobre 2002
III Le massacre de Monoko Zohi novembre 2002
IV Les événements de l’hôtel Ivoire novembre 2004
V Guitrozon et Petit Duékoué mai-juillet 2005
VI La marche du RHDP décembre 2010
VII Les femmes d’Abobo mars 2011
VIII Les victimes du commando invisible février-mars 2011
IX Duékoué Carrefour mars 2011
X Sago mai 2011
XI Nahibly juillet 2012
CONCLUSION DES AUDIENCES PUBLIQUES
Les exécutions extrajudiciaires, les viols, les blessures de toutes sortes infligées aux populations, notamment aux populations civiles, qui ont rythmé la vie politique ivoirienne de 2000 à 2012 appellent au moins trois remarques :
1) les exactions ont eu lieu partout en Côte d’Ivoire mais principalement à l’ouest et dans les grands centres urbains ;
2) les populations en ont souffert de la même façon quel que soit le régime en place ;
3) le bilan de ces exactions est difficile à établir. Que les exactions aient eu lieu principalement dans les grands centres urbains, sièges des autorités nationales et du pouvoir suprême peut se comprendre. Mais pourquoi plus à l’ouest qu’ailleurs ?
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Terre d’anciens volcans, l’ouest est riche et favorable aux forêts et aux cultures de rente (café, cacao). Peu peuplé, l’ouest attire des populations d’autres régions de la Côte d’Ivoire et des pays voisins dont certaines y vivaient bien avant la décolonisation. Malgré la cohabitation pacifique entre les différentes communautés, l’intégration culturelle ne s’est pas faite.
Des terres communautaires ont été cédées donnant lieu à des interprétations divergentes alors que la loi de 1998 était censée régler la question du droit de propriété. Une telle situation rend la cohabitation confligène. Chaque régime qui a dirigé la Côte d’Ivoire de 2000 à 2012 trouve face à lui une population divisée, où le faible niveau de la conscience démocratique fait de l’adversaire politique un ennemi dont la disparition physique est considérée comme la meilleure des solutions.
Les forces chargées de la sécurité des populations n’ont pas un niveau démocratique plus élevé que celui de la population. De sorte que ces forces qui devraient veiller au respect des droits humains voient dans leurs uniformes et dans leurs armes des instruments pour mettre à mal ces droits humains. Elles y sont encouragées par l’impunité que leur accordent les autorités qu’elles servent. En fait, les autorités et les forces de sécurité se tiennent mutuellement : « si tu me punis pour ce que j’ai fait pour sauver ton siège, je laisse faire et tu perds le siège ».
Beaucoup d’exactions intervenues dans le pays n’ont pas fait l’objet d’enquêtes (nationales ou internationales) ; certaines enquêtes n’ont jamais été rendues publiques. Quand une enquête est commandée et exécutée, elle ne rapporte que ce qu’elle a vu et elle ne voit pas tout. Il est possible d’établir un bilan officiel, mais pas un bilan exhaustif.
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CHAPITRE 7
LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES ET LES LEÇONS APPRISES
L’expérience acquise par la CSAE lui a en même temps révélé de nombreuses difficultés et appris un certain nombre de leçons. Il n’est pas inutile d’évoquer celles-ci et celles-là dans ce rapport.
1. Les difficultés rencontrées
Les difficultés rencontrées sont de plusieurs ordres. Nous en avons retenu quatre pour ce rapport.
Difficultés d’ordre géographique
– Mauvais état des routes.
– Difficultés d’accès de certaines zones en raison de l’existence de plans d’eau.
– Difficulté de mise en œuvre d’un mécanisme d’audition et d’enquête pour les personnes réfugiées ou exilées dans la sous-région et ailleurs dans le monde.
Difficultés d’ordre financier
– Les budgets devaient être pris en compte dans leur globalité.
Difficultés d’ordre humain
– Peur des populations qui craignaient des représailles en cas de déposition.
– Crainte des populations liée à la présence de dozos dans certaines localités.
Difficultés d’ordre politique
– Certains hommes politiques ont refusé de prendre part au processus de réconciliation.
– Aucune contrepartie n’était offerte aux “perpétrateurs“ pour les inciter à faire des aveux.
Les acquis de l’expérience
Parmi les nombreuses leçons apprises, il en est au moins neuf qui méritent d’être retenues pour ce rapport :
1. Les victimes ont mis beaucoup d’espoir en la CDVR car elles attendaient d’être auditionnées pour obtenir réparation.
2. Les missions de prospection ont permis de voir qu’il existe de nombreuses spécificités dans les localités de la Côte d’Ivoire.
3. Un bon réseau de communication (radio locale, radio nationale, réseaux sociaux) était nécessaire pour mener la mission à bonne fin.
4. Il était également nécessaire d’ouvrir, pour les opérations de terrain, une ligne verte (gratuite).
5. L’ouverture de la ligne verte gratuite devait s’accompagner de la mise en place d’un standard ouvert 24 h/24.
6. Au début de chaque opération, il était important de communiquer pour que la population soit au courant des actions à mener avant, pendant et après les activités.
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Il est nécessaire de créer une cartographie électronique complète et détaillée de toutes les violations des droits humains en Côte d’Ivoire de 1990 à 2011.
8. Il est urgent de songer à la mise en œuvre d’un mécanisme de protection des victimes, témoins, sachants et auteurs de violations des droits humains ainsi que tous les agents travaillant pour la CDVR dans le cadre de la Commission spécialisée chargée des auditions et des enquêtes.
9. L’exigence d’une grande discrétion est une condition absolue pour mener à bien les activités d’audition et d’enquête.
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CONCLUSION DU RAPPORT DE LA CSAE
Ce rapport s’est attaché à exposer ce que la CSAE a mené comme activités, dans le cadre de la section des missions de la CDVR consacrée à la recherche de la vérité. Y ont été présentées tour à tour les initiatives prises pour :
• cartographier le terrain à parcourir ;
• concevoir une méthodologie des auditions et des enquêtes ;
• recruter des agents d’audition et d’enquête ;
• assurer leur formation et pour mener à terme la phase des auditions.
Cette conclusion voudrait principalement insister sur ce qui reste à faire pour parachever la mission. Deux activités essentielles méritent d’être indiquées. Elles sont essentielles non seulement parce que sans elles la mission de la CSAE et de son mandant, la CDVR, sera inachevée, mais surtout parce que sans elles, cette mission sera dépourvue de toute signification puisqu’on n’en aura tiré aucun enseignement. Ces deux activités sont la diffusion des audiences et la conservation des informations recueillies.
La diffusion des audiences.
Il était prévu, dans les projets de la CDVR, que les audiences donnent lieu, au moins pour celles qui sont supportables, à une diffusion de presse pour que les Ivoiriens, en découvrant les horreurs dont ils été capables, prennent conscience qu’ils ne doivent plus les répéter. Or la CDVR a terminé sa mission sans qu’on n’entende parler de l’exploitation des résultats obtenus. Sans la publication de ces résultats, le travail abattu sera une grosse perte de temps et, pour le budget qu’il a requis, un vaste gâchis.
La catharsis, fruit du choix méthodologique de la CDVR, devait opérer à deux échelons. D’abord dans la salle des audiences où le dialogue à trois termes permet d’aboutir à la cicatrisation des blessures occasionnées par les violations. Ensuite à l’échelon national par le truchement de la télédiffusion des audiences : les séquences diffusées devaient faire communier les trois protagonistes de l’audience et les téléspectateurs qui sont toute la société ivoirienne.
En ne diffusant pas des images qui ne sont que le reflet de la réalité vécue, on renonce à un instrument efficace de résolution du problème posé à la Côte d’Ivoire et qui justifie la volonté de réconciliation exprimée par le président de la République.
La conservation des informations recueillies.
La documentation constituée sur les violations des droits humains en Côte d’Ivoire de 1990 à 2011, est un outil de travail précieux pour la mémoire des Ivoiriens et pour l’histoire du pays. Elle est pour notre époque ce que fut le Rapport Damas pour la Côte d’Ivoire des années 1950. À travers un tel instrument, la Côte d’Ivoire dispose d’un outil de compréhension d’une partie de son histoire. Elle aura également en main un outil nécessaire à la prévention et à la lutte contre un certain nombre de ses vieux démons.
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CHAPITRE 8 L’ELABORATION DU PROGRAMME DE REPARATION
Le plan d’action stratégique en matière de réparations
La réparation des préjudices subis par les victimes et la réhabilitation de celles-ci commande les actions suivantes :
D’abord, œuvrer à obtenir que les victimes pardonnent à leurs bourreaux. Les procès-verbaux des délibérations de la Commission sur le sujet seront disponibles au plus tard deux mois après la fin de chaque audition.
Ensuite, mettre en place des programmes de cicatrisation (programmes psychosociaux, assistance psychologique, formation des communautés locales aux compétences d’aide psychosociale, mise en place de groupes d’entraide, mise en œuvre de formes symboliques de cicatrisation). Le commencement d’exécution de tous ces programmes devra se faire sans tarder.
Enfin, assurer la réparation des préjudices et la réhabilitation des victimes. Les mesures de réparation et de réhabilitation approuvées par la Commission seront transmises sous forme de recommandation au président de la République.
La consultation des Ivoiriens
Le questionnaire soumis aux Ivoiriens lors des consultations nationales comporte un volet réparations. Les personnes enquêtées qui se sont définies comme victimes ou se sont présentées comme parentes de victimes ont été interrogées afin que les recommandations faites par la CDVR à l’État tiennent compte de leurs attentes en matière de réparation.
Les exemples des programmes de réparation d’autres CVR
3.1 – Ce qu’il convient d’éviter
– Promettre plus qu’on ne peut offrir (Argentine et Afrique du Sud)
– Allouer des réparations sur une base non fondée ou par pur favoritisme politique (Allemagne)
– Exacerber les tensions préexistantes par une exclusion injuste des véritables bénéficiaires (victimes de la torture au Chili)
– Réduire aux yeux de la population les programmes de réparation à des efforts symboliques.
3.2. – Ce qu’il faut au contraire suivre
– Choisir une approche holistique de la responsabilité pour les crimes passés
– Adopter une démarche globale par des mesures de réparations diverses (combinant des réparations symboliques et matérielles).
– Être orientés vers l’avenir.
– garder l’équilibre entre les mesures individuelles et les mesures collectives.
– Viser l’amélioration de la qualité de vie des victimes.
– Développer des processus participatifs en accord avec la société civile et en particulier.
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prendre en compte le point de vue des victimes et des familles dans la conception de la réparation et les accompagner par une campagne de sensibilisation efficace.
– Tenir compte de ce qui est réalisable avec les ressources disponibles et en fonction des priorités.
La doctrine de la CDVR en matière de réparation
La conception d’un programme de réparation amène à répondre aux trois questions suivantes :
– À qui accorder des réparations ?
– Quoi réparer ?
– Comment réparer ?
Ces questions conduisent à la recherche de la vérité sur les préjudices subis, sur qui les a subis et sur l’impact spécifique et différencié de ces préjudices.
La réparation est directement et explicitement axée sur la situation des victimes, puisqu’elle vise à offrir une compensation pour les droits violés, les dommages subis et les outrages endurés. Un programme de réparation doit faire valoir le statut de détenteurs de droits des victimes et mettre en avant le sentiment que c’est sur cette base que la réparation leur est due.
Aux yeux des victimes, la reconnaissance publique constitue souvent l’élément le plus important du processus de réparation.
Une politique de réparation doit être axée sur les besoins des victimes et sur une démarche qui leur concède des gains significatifs. Elle doit s’inscrire dans le cadre plus large d’un effort en faveur de la justice et de la paix, car les réparations ne peuvent être mises en œuvre de manière isolée de ces efforts.
Les actions ne peuvent cependant relever de la seule CDVR ; elles relèvent surtout du gouvernement qui doit mettre en œuvre les recommandations.
Les réparations sont plus efficaces lorsqu’elles sont accompagnées d’initiatives complémentaires comme la recherche de la vérité, la réforme institutionnelle, les mesures de responsabilité et la commémoration. Tout projet de réparation qui ne s’appuie pas sur de telles initiatives restera stérile.
Concevoir un programme de réparations n’est pas suffisant. Sa mise en œuvre doit être garantie: cela nécessite de définir le cadre institutionnel et les différentes responsabilités pour l’exécution de cette politique, une fois que la CDVR sera à la fin de son mandat.
L’évaluation des coûts des réparations
La réparation des conséquences des violations massives des droits de l’homme est un investissement important pour un pays. Elle peut aider à l’intégration ou la réintégration de tous ses citoyens, aider à démonter de fortes divisions qui menaceraient de créer de futures violences. En outre, elle peut aider à traiter certaines formes historiques de la marginalisation, qui en gardant certaines catégories de personnes en marge de la société et de l’économie, leur enlèverait toute possibilité de développement.
La question du financement est donc avant tout une question de volonté politique.
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Elle pose également la question de l’importance de la réponse au droit des victimes, ainsi qu’un message sur l’équité et l’égalité des chances entre tous les citoyens dans la stratégie de sécurité du pays.
La réparation est une question qu’il faut aborder sur le long terme, qui exige un appui politique excédant la vie d’un seul gouvernement, ainsi que l’adoption de normes juridiques pour en assurer la continuité.
Éduquer la classe politique et la société en général sur le droit des victimes aux réparations pourrait s’avérer critique pour la mise en œuvre initiale et la continuité d’un programme. C’est notamment par la législation que l’on peut garantir qu’une politique de réparation ne sera pas facilement renversée au gré de conditions politiques changeantes.
Les modalités de financement possibles sont les suivantes :
Le financement provenant du budget national (budgétisation sur une certaine période, une mesure efficace) ;
Le financement par un fonds spécial (qui vit de dons et dont il faudrait garantir la fonctionnalité) ;
Le financement par des obligations ou d’autres formes d’emprunts émis par l’État.
Le financement par des taxes spéciales; La cotisation des bailleurs de fonds internationaux (donateurs internationaux) ; Le recouvrement des biens volés auprès des “perpétrateurs“.
Conclusion La conception d’un programme de réparations nécessite un large dialogue. Cependant, ce dialogue, pour être en mesure d’atteindre ses objectifs a besoin d’être encadré par quelques idées. Les idées et les expériences présentées ont pour but d’aider à guider le dialogue et les évaluations des besoins des victimes d’une façon qui permettrait d’arriver à des propositions réalistes. Cela pourrait permettre aux recommandations de répondre aux besoins des victimes et de pouvoir être mises en œuvre effectivement.
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CHAPITRE 9 LA PROTECTION DES VICTIMES ET DES DONNEES
1.- Programme de protection des personnes
La CDVR avait une responsabilité envers les personnes qui, malgré les risques, viennent à témoigner, contribuant ainsi à la recherche de la vérité sur les auteurs présumés de violations survenus lors des crises passées et récentes. L’absence de mesure de protection expose ces sachants à de graves dangers. Un mécanisme de protection des témoins, victimes et auteurs présumés s’avère donc nécessaire.
1.1 La protection des victimes, des témoins et des auteurs présumés
La protection des témoins, des victimes et auteurs présumés est l’ensemble des mesures prises pour protéger et garantir l’intégrité physique et morale des personnes en danger ou dont la vie est menacée.
1.1.1 La protection dès la phase des dépositions et des enquêtes
La protection au cours de cette période du mandat de la CDVR a porté sur les consultations nationales et les auditions et enquêtes pour la recherche de la vérité. Ainsi, la police nationale, la gendarmerie et la police onusienne ont été activement associées à chaque étape du processus. La protection des délégations de la CDVR aux différentes phases des consultations nationales s’est traduite par la sécurisation effective des espaces dédiés aux focus groupes.
S’agissant des auditions et enquêtes, toutes les unités de gendarmerie et de la police nationale, de même que celle de l’ONUCI, ont été mobilisées. De nombreuses séances de travail ont été tenues à cet effet. Cet aspect de la protection a pris en compte la sécurisation des centres d’écoute logés au sein des commissions locales de la CDVR. En prélude au lancement de cette importante phase du processus, des missions de prospection et d’information ont été menées par les membres de la Commission spécialisée chargée des Auditions et des Enquêtes. Ainsi, les autorités administratives et militaires de toutes les zones concernées ont été sensibilisées sur leur nécessaire implication à la protection des victimes, témoins et présumés “perpétrateurs“. La phase des consultations nationales, des auditions et enquêtes n’a enregistré aucun incident.
1.1.2 La protection durant les audiences publiques
La sécurisation des audiences publiques a comporté deux aspects principaux que sont la sécurisation du site et la protection des victimes, des témoins et auteurs présumés.
– La sécurisation du site
La sécurisation de l’Ivoire Golf Club, lieu retenu pour cette phase de catharsis et de pardon a été confiée à la gendarmerie nationale, à la police nationale et à l’UNPOL.
Pour la mise en œuvre pratique de l’opération, la police nationale a fourni 26 éléments par jour, la gendarmerie 33 éléments et l’UNPOL 22 par jour. La salle des audiences publiques, la régie, la salle de suivi psychologique et médical, celle prévue pour l’accueil des victimes avant leur passage à l’audience et le secrétariat de la session ont fait l’objet d’une surveillance 24 heures sur 24 par les éléments de la gendarmerie.
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La sécurisation de l’Ivoire Golf Club a porté également sur l’entrée et la sortie principale, l’entrée de la salle des audiences publiques et ses alentours, le parking souterrain réservé au Président et aux Commissaires et l’intérieur de la salle d’audiences avec la présence d’agents de police en civil.
L’unité de protection a fait confectionner des badges d’accès au site pour les commissaires, les forces de sécurité, les organisateurs et le public portant respectivement les mentions qui suivent : « commissaire », « sécurité », « organisation » et « Public ».
D’autre part, un registre a été ouvert à l’effet d’enregistrer l’identité des personnes désireuses de prendre part aux audiences. De même, un système de détection des armes et autres objets contondants a été installé aux principales entrées. Enfin, les prises de vue, les dictaphones et autres appareils de communication ont été interdits dans la salle d’audience. L’autre volet de la sécurisation était relatif à la protection des victimes.